Le 3 décembre aura lieu la troisième Journée annuelle de l’agriculture et du développement rural à Durban, en Afrique du Sud. Les gouvernements devront se débattre pour résoudre une énigme apparemment insoluble: comment nourrir une population mondiale ayant récemment franchi la barre des sept milliards, tout en réduisant la contribution de l’agriculture aux changements climatiques planétaires? La lutte contre la faim et les changements climatiques doit passer par une réforme de l’agriculture de la ferme jusqu’à l’assiette.


Kumi Naidoo, directeur de Greenpeace International manifeste dans les rues de Durban. ©Greenpeace/Robinson

La baisse récente du prix du blé, du maïs et des autres céréales apporte un soulagement dont avaient bien besoin les nombreuses victimes de la faim, voire de la famine en raison de la crise alimentaire dont les effets se font sentir depuis trop longtemps. Il n’en reste pas moins que dans plusieurs pays, le prix de certaines denrées alimentaires de base comme le pain, le riz, le lait et la viande a continué de monter. Et d’un bout à l’autre de la planète, il est impossible de prévoir combien il en coûtera pour se nourrir d’un mois à l’autre, en raison de l’instabilité permanente des prix des aliments (ONU).

De nombreux facteurs qui favorisent la faim et l’instabilité des prix alimentaires sont intimement liés à ceux qui rendent les systèmes agricoles mondiaux écologiquement non durables. Le pétrole est un de ces facteurs importants. L’agriculture industrielle qui produit une bonne partie de la nourriture consommée dans le monde dépend étroitement du pétrole, non seulement pour alimenter les machines agricoles en carburants mais aussi pour fabriquer les engrais et les pesticides dont on se sert pour maintenir les rendements agricoles à des niveaux élevés.

Cependant, l’usage du pétrole en agriculture mine la santé des sols, pollue les réseaux d’alimentation en eau locaux et diminue la biodiversité. Quand on défriche les forêts pour implanter des terres agricoles, on remplace une végétation naturelle diversifiée par des monocultures. Le pétrole nécessaire au fonctionnement des machines agricoles favorise les émissions de gaz à effet de serre et par conséquent les changements climatiques, encore aggravés par la mauvaise utilisation des engrais et la production inefficace des aliments destinés aux animaux. De plus, l’agriculture industrielle établit une relation étroite entre les coûts nécessaires à la production des denrées alimentaires et les variations du prix du pétrole; or ceux-ci ont grimpé fortement depuis quelques années.

La production agricole est de plus en plus mondialisée, et on constate quela distance entre la ferme et l’assiette s’alonge de plus en plus, les gaz à effet de serre liés au transport et à la réfrigération s’ajoutant à des niveaux d’émissions déjà élevés. Une poignée de grandes compagnies exercent une mainmise sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de sorte que les collectivités locales perdent la maîtrise de leurs systèmes alimentaires et agricoles, ce qui a pour effet d’accentuer la faim dans le monde et la dégradation des écosystèmes.

Dans une bonne partie des pays en voie de développement, de grandes entreprises et certaines institutions comme la Banque mondiale exercent des pressions sur les gouvernements et les cultivateurs pour qu’ils privilégient les cultures destinées à l’exportation plutôt qu’à la consommation locale, en appliquant généralement des méthodes agricoles intensives ayant pour résultat d’endommager l’environnement local. Le déclin de la qualité du sol, le coût croissant des pesticides et fertilisants chimiques et la mainmise progressive des sociétés géantes sur le marché des aliments pénalisent doublement les petits producteurs d’aliments des pays pauvres, car ceux-ci doivent désormais composer avec des revenus à la baisse et des prix alimentaires imprévisibles.

La conférence climatique des Nations Unies à Durban en Afrique du Sud (COP 17) offre aux gouvernements la possibilité d’aller de l’avant; il s’agit d’une occasion dont le besoin se fait sentir avec urgence. Le 3 décembre, l’attention des conférenciers se portera sur le rôle de l’agriculture dans la croissance des émissions de gaz à effet de serre; il est urgent d’aider les producteurs agricoles du monde entier à s’adapter aux conséquences des changements climatiques, et les participants devront aussi se pencher sur cette question. Il est clair que la conférence onusienne devra aussi concentrer son attention sur la manière dont on devra produire les aliments.

Les preuves scientifiques et les indications obtenues sur le terrain sont incontournables, elles montrent que les fermes où l’on utilise des engrais et des méthodes écologiques et des cultures diversifiées permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de produire plus d’aliments. Ces méthodes agricoles écologiques réduisent la dépendance envers le pétrole, favorisent la bonne santé des sols et des systèmes aquatiques, et diminuent les dépenses des entreprises agricoles familiales et en leur fournissant plus d’aliments.

C’est l’évidence même. Mais de puissants intérêts corporatifs qui profitent du régime actuel déploient beaucoup d’efforts pour empêcher la mobilisation nécessaire à la transition d’une agriculture intensive vers une agriculture biologique. Ils s’opposent aux réformes qu’il faut entreprendre en matière de subventions publiques, de régimes fiscaux, et de recherches agronomiques pour assurer cette transition. Greenpeace met les bouchées doubles à Durban, et elle continuera à le faire après la conférence pour que les gouvernements commencent à entendre la voix du bon sens, pour le bien des populations et de la planète.