A la fin du mois de janvier, Greenpeace et la Déclaration de Berne décerneront lors du Forum économique mondial (WEF) à Davos le « Public Eye Award », cette distinction redoutée par les entreprises qui révèle au grand jour les pires cas d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Le vote pour le prix du public 2013 débute aujourd’hui sur www.publiceye.ch, où des parodies publicitaires cinglantes illustrent la démarche contestataire.


Plusieurs sociétés sont pointées du doigt, par exemple Shell, qui souhaite à tout prix entreprendre des forages pétroliers en Arctique.

Sept entreprises provenant de quatre continents différents – dont une société suisse parmi les finalistes – sont nominées pour les fameux prix de la honte. Lors de la conférence de presse qui accompagnera la cérémonie de remise des prix, le célèbre régulateur financier William K. Black parlera de l’énergie criminelle des grands groupes et de l’oligarchie de l’industrie financière. 

Le vote en ligne pour la pire entreprise de l’année est ouvert d’aujourd’hui au 23 janvier à midi. Sur la liste de cette année figurent sept cas de crimes d’entreprise sélectionnés parmi plus de vingt propositions et considérés par le jury – qui compte pour la première fois des professeurs d’éthique économique de renommée internationale – comme les cas d’infraction les plus scandaleux de l’année. Elles méritent donc de concourir pour le titre suprême. Les expertises soumises pour les propositions de nomination ont été réalisées par l’Institut pour l’éthique économique (IWE) de l’Université de St-Gall. Aux quatre coins du monde, plus de 50 organisations non gouvernementales ont nominé des sociétés.

Alstom, le groupe français d’énergie et de transports, est impliqué dans divers scandales de corruption dans le monde entier. La démarche de la société est bien huilée: pour obtenir des mandats, Alstom verse des pots-de-vin aux représentants politiques locaux, parfois jusqu’à plusieurs millions. Vu la fréquence des cas qui ont été rendus publics, la question se pose de savoir s’il ne s’agit pas là en réalité d’une stratégie commerciale savamment orchestrée.

Avec ses 400 millions de tonnes de production par an, l’entreprise indienne Coal India est le numéro un mondial du charbon. La société exploite 90% des centrales à charbon en Inde et souhaite en construire de nouvelles, ce qui placerait l’Inde au troisième rang mondial des émetteurs de CO2. Les mines de houille détruisent l’habitat de grands mammifères et privent des peuples autochtones de leurs terres d’origine, les contraignant à vivre dans une pauvreté extrême.

Les quelque 650’000 collaborateurs du prestataire de sécurité britannique G4S placent ce dernier à la tête de la plus grande armée privée du monde. Les forces de sécurité sont souvent mal formées et mal payées. La société, qui est active dans 125 pays, est impliquée dans de nombreuses affaires d’atteintes au droit international et aux droits humains. G4S est présent dans les Territoires palestiniens illégalement occupés et y est en charge de checkpoints et de prisons. Parallèlement, la société effectue des missions dans d’autres zones de conflit pour le compte de régimes répressifs, notamment en Afghanistan, en Irak, au Bahreïn ou encore en Arabie Saoudite.

Le vampire de la finance Goldman Sachs semble quant à lui adorer les bulles financières. Qu’il s’agisse de la faillite des hypothèques, de l’euro ou de banques, la banque profite grassement de chaque crise de grande ampleur. Elle n’hésite pas non plus à faire plonger des Etats entiers dans la ruine. Les montages financiers de Goldman Sachs ont conduit la Grèce à sa ruine et déclenché la crise financière qui plombe actuellement la zone euro. Au passage, la banque a amassé un joli pécule: plusieurs milliards de dollars sur le dos de la population européenne. Goldman Sachs entretient un réseau opaque et unique en son genre qui s’étend dans le monde entier et qui compte d’anciens cadres de la banque lesquels occupent désormais des postes politiques de premier ordre, notamment Mario Draghi, le président de la BCE.

Des responsables de Lonmin, numéro trois mondial de l’industrie minière et du secteur du platine en particulier, ont exhorté le ministère sud-africain du secteur minier à prendre les « mesures qui s’imposaient  » contre des travailleurs en grève de la mine de Marikana, c’est-à-dire en faisant appel à la police ou à l’armée. Peu après, 44 mineurs manifestants ont été abattus par la police et 77 autres grièvement blessés. Le lendemain du massacre, Lonmin a menacé de licenciement tous les mineurs qui poursuivraient la grève. Vivant dans une pauvreté absolue, les travailleurs avaient cessé le travail parce qu’à plusieurs reprises, la direction de Lonmin ne s’était pas présentée à des négociations salariales.

Le groupe énergétique suisse Repower veut construire une centrale à charbon dans la Calabre italienne alors que la population locale s’y oppose. L’emplacement prévu pour le chantier se situe au cœur du territoire de l’organisation mafieuse probablement la plus influente en Italie et en Europe, la ‘Ndrangheta. C’est tout à fait consciemment que Repower est entré dans le jeu de la corruption politique et de la mafia, afin d’échafauder une centrale à charbon non seulement non désirée mais en outre aussi insoutenable aussi bien socialement qu’écologiquement. La détermination de la société à mener à bien son projet a notamment conduit Berlusconi à édicter une « Rex Repower », qui prive les régions de leur droit de participation à la décision.

Shell veut à tout prix entreprendre des forages en Arctique, à la recherche d’hydrocarbures. La société pétrolière ignore les mises en garde des scientifiques quant aux risques de catastrophes ainsi que le souhait de millions de personnes de préserver la région polaire. Pete Slaiby, vice-président de Shell Alaska, a déclaré sur la BBC: « Pas besoin d’enjoliver la situation, je pense qu’il y aura des accidents pétroliers et aucun accident n’est bon. » Malgré cette remarque exprimant la voix de la raison et en dépit d’une série de pannes lors des premiers préparatifs en Arctique, il n’est pas encore venu à l’esprit des responsables de Shell d’investir plus d’argent dans des dispositifs de sécurité. La société a de surcroît rayé de sa stratégie à long terme la conversion dans les énergies renouvelables.

Jeudi 24 janvier 2013 (9h, Kirchgemeindehaus Davos Platz) le Public Eye, toujours aussi critique à l’égard du WEF, mettra un coup de projecteur sur le comportement irresponsable des grandes sociétés à l’occasion d’une conférence de presse internationale à Davos. C’est à ce moment que seront dévoilés les lauréats du Jury Award (prix du jury) et du People’s Award (prix du public). L’auteur de renom, professeur d’économie et ancien régulateur financier William K. Black (livre: The Best Way to Rob a Bank is to Own One) parlera notamment de l’énergie criminelle des grands groupes, de l’oligarchie de l’industrie financière et de l’état de la démocratie.