La première utilisation d’armes de destruction massive au Moyen-Orient a été le fait des forces britanniques, en 1917. A l’époque la Grande-Bretagne occupait le territoire qui devait plus tard devenir l’Irak et essayait de rassembler les Kurdes du nord, les Chiites du sud et les tribus Sunnites de la région de Bagdad en un « royaume » irakien créé de toutes pièces dans le but de contrôler le pétrole de la région. Winston Churchill, alors ministre des Colonies, trouvant que les « tribus turbulentes » des Arabes rencontraient un peu trop de succès dans leur lutte contre l’impérialisme britannique, a encouragé l’utilisation d’armes chimiques. En réponse à une certaine opposition rencontrée dans les ministères, Churchill écrivit : « Je ne comprends pas ces manières à propos de l’utilisation du gaz. Je suis fortement favorable à l’utilisation de gaz mortel contre des tribus incultes. »

Genève (GE). Aujourd’hui, un rapide examen des programmes d’armes de destruction massive dont on soupçonne l’existence au Moyen-Orient, et dont la mise au point a été facilitée par les gouvernements et les industriels occidentaux, révèle un tableau troublant.

SYRIE: la Syrie possède l’un des plus importants stocks d’armes chimiques du Moyen-Orient, avec de nombreux missiles Scud prêt à l’usage capables de porter des ogives chimiques. Selon la DIA (Defence Intelligence Agency) états-unienne, la Syrie a commencé à développer un programme d’armement chimique offensif au début des années 70 « à cause de la menace perçue d’Israël » et a probablement aujourd’hui un programme d’armement biologique. En 1989, William Webster, alors directeur de la CIA, a attesté que « les entreprises ouest-européenne ont fourni les premiers équipements et substances chimiques. Sans l’apport de ces éléments cruciaux, Damas n’aurait pas pu produire d’armes chimiques. »

IRAN: de nombreux analystes pensent que l’Iran est plus près de produire des armes nucléaires que l’Irak. Le gouvernement états-unien affirme que ce pays pourrait posséder jusqu’à plusieurs tonnes d’agents chimiques utilisables en armement. L’Iran nie ces allégations et appelle régulièrement à la création d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient.

EGYPTE: beaucoup pensent que l’Egypte a utilisé des armes chimiques au Yémen dans les années 60 et possède aujourd’hui encore une capacité chimique militaire. Rien ne laisse penser qu’elle cherche de nouveaux systèmes d’armes de destruction massive en ce moment. L’Egypte soutient activement la création d’une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient.

ISRAEL: Israël possède le plus ancien et le plus important des programmes d’armement nucléaire du Moyen-Orient. Sa position officielle est ambiguë : Israël prétend qu’elle « ne sera pas la première à introduire des armes nucléaires dans la région ». Les puissances nucléaires officielles se sont contenté de cette déclaration. Les analystes s’accordent sur le fait qu’Israël a construit entre 100 et 400 armes nucléaires dans le cadre d’un programme qui a démarré dans les années 50, et possède aujourd’hui un arsenal sophistiqué et plus important que celui de la Grande-Bretagne. Israël n’a pas signé le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), ni aucun autre traité de contrôle des armements, et refuse de laisser inspecter ses installations nucléaires par les Nations unies.

Israël possède des missiles d’au moins 3 500 km de portée et le seul système de missiles anti-balistiques au monde. Ses systèmes de lancement comprennent trois sous-marins nucléaires qui peuvent être équipés de missiles de croisière à tête nucléaire. On pense qu’Israël a d’importants programmes chimiques et biologiques, mais les informations à ce sujet sont rares. Israël aurait déjà utilisé des armes chimiques et biologiques par le passé.

IRAK: en 1990, l’Irak possédait un programme d’armement nucléaire avancé ainsi que d’importants stocks d’armes chimiques et biologiques, obtenus grâce au concours de nombreuses entreprises de nombreux pays, au vu et au su des Etats-Unis et des autres gouvernements occidentaux. Une grande partie de sa capacité militaire a été identifiée et détruite par les inspecteurs des Nations unies après la guerre du golfe de 1991 (notamment 40 000 armes chimiques et 30 missiles conçus pour les porter). L’Irak affirme que toutes ses installations et tous ses stocks d’armes de destruction massive ont été détruits. Il reste des incertitudes, toutefois, sur le nombre des éléments chimiques et biologiques lui restant, bien que la plus grande partie de la communauté internationale ne pense pas qu’il soit en possession d’armes nucléaires ou ait la capacité d’en construire. Les dernières inspections en armement n’ont révélé aucune trace d’agents nucléaires, chimiques ou biologiques dans l’ensemble des sites visités, ni aucune preuve d’une tentative de relance par l’Irak de son programme nucléaire.

Les armes de destruction massive dans le reste du monde

La course aux armes de destruction massive ne se cantonne pas au Moyen-Orient. L’Inde et le Pakistan ont choqué le monde entier en annonçant publiquement leurs programmes d’essais nucléaires après l’explosion de bombes atomiques de petite puissance (5 000 à 25 000 tonnes d’équivalent TNT). L’Occident a réagi en imposant des sanctions économiques et techniques, pour la plupart levées au moment du conflit en Afghanistan pour s’assurer leur soutien. L’Inde et le Pakistan sont aujourd’hui redevenus des membres à part entière de la communauté internationale. On se soucie peu de leurs programmes illégaux d’armement nucléaire.

Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi la Corée du Nord, par exemple, est aujourd’hui en train de faire pareil. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie et Chine) possèdent eux-mêmes le plus important de tous les arsenaux nucléaires : 35 000 armes. Ils font tout leur possible pour les conserver, voire les améliorer et, si nécessaire, les accroître. Tous les pays doivent interdire sur le champ les armes nucléaires et les autres armes de destruction massive pour éviter que l’on arrive à une foire mondiale aux armes nucléaire et autres armes de destruction massive.

Pourquoi deux poids, deux mesures ?

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et une grande partie des pays d’Europe de l’Ouest ont aidé Saddam Hussein à s’équiper en armes de destruction massive, en armes conventionnelles et en véhicules de lancement. Un rapport de commission du Sénat américain de 1992 a révélé que les Etats-Unis avaient exporté des équipements chimiques, biologiques, nucléaires et balistiques vers l’Irak, y compris de l’anthrax provenant du CDC (Centre de contrôle et de prévention des maladies). Selon ce rapport, cela s’est fait avec le consentement de l’administration Reagan, dont l’émissaire, Donald Rumsfeld, avait rendu visite à Saddam Hussein en 1984 pour relancer les relations entre les Etats-Unis et l’Irak, après avoir ôté à ce pays le statut d’Etat soutenant le terrorisme.

Depuis 1975, 150 entreprise occidentales, dont 24 états-uniennes, ont fourni à l’Irak les équipements et le savoir-faire nécessaire à ses programmes d’armes de destruction massive. L’Irak a donné cette information dans son rapport remis aux Nations unies en décembre 2002, mais les Etats-Unis ont posé leur veto sur ces informations « sensibles » avant qu’il ne soit distribué aux membres non-permanents du Conseil de sécurité. Une version complète du rapport est parvenue à la presse grâce à une fuite.

Après les attaques ignominieuses d’Halabja en 1988, qui ont tué au moins 5 000 civils kurdes d’Irak, et que les Etats-Unis et le Royaume-Uni citent régulièrement comme élément à charge pour l’élimination de Saddam Hussein, les représentants occidentaux ont été très réticents à dire la vérité, commençant par accuser l’Iran de cette atrocité, et ont minimisé l’importance de ces attaques. Cela n’a pas empêché les affaires de continuer : « [En] décembre 1988, Dow Chemical a vendu pour 1,5 millions de dollars de pesticides à l’Irak, bien que le gouvernement états-uniens ait craint qu’ils puissent servir d’agents pour la guerre chimique. Un représentant de l’Export-Import Bank a signalé dans une note de service qu’il n’arrivait à trouver « aucune raison » pour empêcher la vente, malgré les preuves que ces pesticides étaient « fortement toxiques » pour les humains et pourraient provoquer des décès « par asphyxie ». »

Il est évident que s’il y a ainsi deux poids, deux mesures c’est parce que il était dans l’intérêt stratégique des Etats-Unis et des autres gouvernements de soutenir Saddam Hussein quand il faisait la guerre à leur grand ennemi commun, l’Iran. Aujourd’hui l’Irak n’est plus un allié stratégique et doit être désarmé à tout prix, en prétextant de n’importe quel argument susceptible de passer auprès du public.

Greenpeace pense aussi que l’Irak doit se voir retirer toutes les armes de destruction massive en sa possession. Mais tous les autres pays doivent être soumis à une telle mesure. Les outils pour la transition pacifique et non-violente vers un monde sans armes de destruction massive existent au sein du système des Nations unies. Greenpeace demande à tous les pays de soutenir sincèrement ces mécanismes et de les améliorer.