Dans sa stratégie énergétique 2050, le Conseil fédéral envisage de recourir aux centrales à gaz pour assurer la transition vers un approvisionnement électrique sans nucléaire. Aussitôt l’industrie atomique entonne un refrain bien connu : au nom de la protection du climat, il faudrait tout de même construire de nouvelles centrales nucléaires. Le mot magique est « quatrième génération ». Le directeur d’Alpiq, Hans Schweickhardt, fait grand cas d’un type de centrale nommé réacteur à lit de boulets.

« Réacteur à lit de boulets » – voilà un nom qui parle à l’imagination: il évoque des monticules de boulets joliment ordonnés – et peut-être même des visions de champ de bataille… mais  probablement pas une technologie sophistiquée censée révolutionner l’industrie nucléaire. Et pour cause: si ce type de réacteur fait l’objet de recherches depuis les années 1960, il n’a jusqu’à présent jamais réussi sa percée. Avec raison.

Le réacteur à lit de boulets n’est pas la Grosse Bertha. Ses performances sont beaucoup plus faibles que celles des réacteurs actuellement en service en Suisse. Pas moins de cinq installations de ce type seraient nécessaires pour égaler la productivité d’une centrale nucléaire comme Leibstadt. Ce piètre rendement n’empêche pas le réacteur au nom bizarre d’être tout aussi dangereux que les autres. Dans les réacteurs à haute température, dont fait partie le réacteur à lit de boulets, le combustible à base d’uranium et de thorium est simplement contenu dans des boules de graphite de la taille d’une balle de tennis plutôt que dans des barres comme dans les réacteurs standards.

En matière de sécurité, le réacteur à lit de boulet est présenté comme une panacée car il exclut une fusion du cœur. Mais cet ‘atout’ est réduit à néant par un autre handicap: en raison des températures extrêmement élevées qui règnent à l’intérieur du réacteur, un dysfonctionnement du système de refroidissement suffit à déclencher un incendie dans la seconde. Le feu peut détruire la barrière de protection, libérant des quantités considérables de matériaux radioactifs dans l’atmosphère et provoquant une catastrophe nucléaire bien réelle, même sans fusion du cœur. Pas étonnant que l’industrie nucléaire ait elle-même reconnu en avril 2009 dans sa revue professionnelle « Nuclear Engineering International » que les attentes envers le réacteur à lit de boulets étaient « beaucoup trop optimistes ».

Détail intéressant, l’auteur de cet article, Rainer Moormann, travaille pour le centre de recherche allemand de Jülisch, où un réacteur à lit de boulets a été développé et exploité jusque dans les années 1980. Selon Moormann, ses propriétés en matière de sécurité pourraient pallier certains défauts de réacteurs actuels. Mais elles sont contrebalancées par des déficiences inhérentes à la technologie comme le risque élevé d’incendie. L’évaluation conclut: « Le réacteur à lit de boulets oblige à choisir entre la rentabilité et la sécurité ». On ne saurait être plus clair: améliorer un tant soit peu sa sécurité reviendrait tellement cher qu’il n’aurait aucune chance sur le marché.

Les premiers réacteurs à lit de boulets ont été mis en service dans les années 1960 en Allemagne et aux Etats-Unis. Il s’agissait d’installation pilote qui n’ont jamais débouché sur des applications commerciales. Au contraire, les centres de recherche ont tous été arrêtés en raison d’importants problèmes de sécurité, des fuites radioactives ne pouvant être exclues. Puis c’est l’Afrique du Sud qui s’est essayée aux réacteurs à lit de boulets ; elle a abandonné son programme en 2010 après 17 ans de recherches. Il lui en aura coûté 1,3 milliard de dollars. Une rallonge de 4 milliards aurait été nécessaire pour poursuivre un projet qui avait pris énormément de retard et ne trouvait plus aucun investisseur.

Là où les Allemands, les Américains et le Sud-Africains ont échoué après des décennies d’efforts, les Chinois devraient réussir: ils sont effectivement en train de construire une installation pilote dans les environs de Pékin. Comblera-t-elle les espoirs? Les expériences faites à ce jour laissent planer de sérieux doutes. Et même si, contre toute attente, un ‘saut quantique’ se produisait en Chine dans cette technologie, la longue procédure de développement et d’autorisation ne lui permettrait pas de s’inscrire dans le calendrier prévu en Suisse pour la sortie du nucléaire. Un réacteur à lit de boulets ne serait pas exploitable chez nous avant 2035, alors que les centrales de Beznau et de Mühleberg doivent être arrêtées d’ici à dix ans au plus tard. Ce problème de timing mis à part, les réacteurs à lit de boulets chinois ne produiraient pas plus de 200 mégawatts chacun – il faudrait donc 15 (!) nouvelles centrales nucléaires pour remplacer les cinq réacteurs actuellement en service. Conclusion: un ‘nouveau’ type de réacteur made in China créerait une montagne de problèmes sans apporter l’ombre d’une solution à ceux que posent déjà le risque résiduel et les déchets radioactifs. Retour au tiroir.