La première journée de l’arbre en Allemagne a été célébrée le 25 avril 1952. Ce jour-là, le président fédéral Theodor Heuss plante un érable dans le parc de Hofgarten, à Bonn, qui était à l’époque la capitale du pays. Depuis lors, cette journée de printemps est dédiée à la forêt et à sa signification pour l’humanité. L’acte de planter un arbre faisait référence au journaliste américain Sterling Morton. En 1872, celui-ci avait proposé au gouvernement du Nebraska d’instaurer un «Arbor Day», qui sera adopté par tous les états américains en l’espace de vingt ans. Et en 1951 les Nations proclameront le 25 avril journée de l’arbre.

L’arbre de la liberté. Arbor Day, J.Sterling Morton

Le succès de cette action a trait à la signification historique et culturelle de l’arbre. Les arbres ont quelque chose de divin. Historiquement ils symbolisaient aussi le royaume des fées, des sorcières et des démons, et étaient des lieux de juridiction, en particulier parce qu’ils incarnaient la force et la fertilité.

La citation de Confucius reflète ces dimensions, en associant les arbres à la grandeur et à l’idéal. Le philosophe grec Platon (428–348 av. J.C.) voyait les platanes comme donnant de l’ombre, mais aussi comme séduisant l’être humain, grisant l’entourage par leur senteur lors de la floraison. Cet espèce de culte voué aux arbres sera considéré comme blasphématoire et combattu par le mouvement chrétien. Au 7e siècle, le concile de Nantes demandera même de lutter pour que les «arbres voués aux démons et vénérés par le peuple (…) soient déracinés et brûlés».

Au début du deuxième millénaire de notre ère, le moine Bernard de Clairvaux (1090–1153) était encore convaincu que l’on pouvait découvrir davantage dans les forêts que dans les livres: «Les arbres et le sol t’apprendront ce qu’aucun maître ne te dira». Ce précepte avait une finalité. Il s’inscrivait dans le respect de la création chrétienne. Décrire les objets naturels devait servir à l’enseignement ou alors aux considérations mystiques, comme chez Hildegard de Bingen (1098–1179): «L’âme habite le corps comme la sève habite l’arbre… L’âme est donc au corps ce que la sève est à l’arbre, et elle déploie ses forces comme l’arbre déploie sa forme».

Hildegard von Bingen: „L’arbre de la liberté“ 12e siècle

Des siècles plus tard, Charles Darwin, auteur de la théorie de l’évolution et certainement peu enclin aux sentiments religieux, s’extasie devant les forêts primaires du Brésil ou de Terre de Feu, à la pointe Sud du continent américain, «où dominent les puissances de la vie, et où triomphent la mort et la déchéance». Il compare les forêts vierges à des temples, «remplis des multiples productions du Dieu de la nature; personne ne peut rester insensible à cette solitude, et personne ne peut s’empêcher de sentir que l’être humain est davantage que le souffle de son corps».

© Valdemir Cunha

Les forêts évoquent des dimensions au-delà d’elles-mêmes. Elles sont des lieux où l’être humain se découvre, où il vit des expériences spirituelles et existentielles. Les écrivains et les journalistes du 19e siècle prendront peu à peu conscience de la menace qui pèse sur ces «hauts-lieux énergétiques» à travers le déboisement et la spéculation. Si la Suisse possède une loi sur les forêts relativement stricte, c’est aussi grâce à l’écrivain Gottfried Keller. Sa nouvelle «Le Rire perdu» évoque le «massacre des arbres» au profit des «villes qui dévorent tout». Pour Gottfried Keller, les forêts et les arbres ont déjà leur propre valeur écologique. Il met en cause l’usage purement économique de l’arbre, quand «les futaies centenaires commencent à tomber» pour laisser «la grêle frapper de plein fouet les vignobles et les campagnes».

Un paysage héroïque © Gottfried Keller

Les textes de Gottfried Keller sur les forêts menacées sont à la fois romantiquement exaltés et écologiquement réalistes. Une réflexion à laquelle fait écho Gustave Flaubert, en France: «Si la Société continue à aller de ce train, il n’y aura plus dans deux mille ans ni un brin d’herbe, ni un arbre; ils auront mangé la nature». La perspective de la disparition de la nature prend alors des traits apocalyptiques.

C’est seulement au 20e siècle que la nature devient un objet (purement) politique. Dans son brillant essai «La nature comme politique» (1976), Carl Améry règle ses comptes avec le mythe marxiste des forces productives déchaînées, avec leur cortège d’interventions nécessaires dans la nature. Améry écrit: «Jusqu’ici, le matérialisme s’est contenté de transformer le monde ; il s’agit maintenant de le préserver.» Comme une grande partie de la première mouvance politique verte, Améry pense la nature comme un tout, qu’il s’agit de sauvegarder. Pour lui la recherche scientifique participe de cette démarche. Mais la perception de la nature connaîtra bientôt une nouvelle expansion, avec l’essor des résistances locales contre les destructions environnementales. Ces expériences illustreront la nécessité, pour une résistance durable, d’intégrer les souvenirs, les sentiments, le vécu de l’enfance, pour véritablement enraciner un mouvement de résistance. Une lutte environnementale ne se déclenchera jamais par des arguments strictement rationnels. Pour sauver la nature, et donc les fondements de la vie humaine, il faut aimer les choses que l’on veut préserver «au nom de leur propre valeur ». Comme les arbres. Qui ne sont pas seulement des puits de carbone, ou des garants de ressources en eau.

La dévastation des forêts entre 1900 et 1918

Confucius, Darwin ou Keller ont donc ouvert la voie à une conception multiple et moderne de la nature, opposée à la simple récupération religieuse ou à une vision purement matérialiste, technique et scientifique. En reprenant la formule de Carl Améry, on pourrait dire aujourd’hui: «Jusqu’ici la société s’est contentée de préserver la nature utile; il s’agit maintenant de se développer avec la nature comme partenaire essentielle de vie.»