Sans lithium – la matière première essentielle pour les batteries des voitures électriques – aucun avenir durable n’est envisageable. C’est pourquoi ce métal léger doit désormais être exploité en Europe, dans le nord-est du Portugal. Mais l’extraction nuit à l’environnement et au climat. L’extraction par géothermie est-elle la solution?

Pour le moment, Horst Kreuter, 66 ans, cherche un tuyau bleu. Et plus globalement, il cherche à frapper un grand coup pour résoudre la crise de l’énergie en Allemagne. Il se tient à côté d’un énorme tube rouge dans lequel coule une eau à 60 degrés provenant des entrailles de la terre. «Ce tuyau bleu doit bien être quelque part», dit-il en balayant la halle de l’usine du regard. C’est l’un des rares moments où Horst Kreuter semble déconcerté.

«Ah, par ici! Il est gainé de noir à présent. Il se passe tellement de choses ici en ce moment que j’ai du mal à suivre.» Il semble avoir réponse à tout.

De ce tuyau à peine retrouvé, de l’eau thermale s’écoule vers une installation pilote située quelques mètres plus loin. Protégée derrière des parois en verre de deux mètres de haut, l’eau traverse des tubes, des appareils de mesure et des vannes – ainsi qu’un cylindre métallique de près de 1,2 mètre de haut qui contient une substance blanche et poreuse: de l’hydroxyde d’aluminium, un adsorbant. C’est là que se déroule, à petite échelle, ce que Horst Kreuter espère devenir un énorme business. Dans un contexte de chasse au lithium menée à l’échelle mondiale.

Le lithium est en plein essor

Ce métal léger est aujourd’hui emblématique de la voracité énergétique insatiable d’un monde qui, pour lutter contre la crise climatique, cherche des alternatives aux énergies fossiles. Si le lithium était jusque-là principalement utilisé dans l’industrie du verre et de la céramique, ce sont désormais les téléphones portables, les tablettes et surtout les batteries des voitures électriques qui en dépendent.

La Commission européenne estime que les besoins en lithium de l’UE seront multipliés par 60 d’ici 2050. Selon la plateforme économique en ligne Trading Economics, le prix du lithium a augmenté de 142% au cours de l’année écoulée. Actuellement, l’UE importe la majeure partie de cette matière première – d’Australie, d’Amérique du Sud et de Chine. Cette situation doit changer le plus vite possible afin de réduire la dépendance aux importations, les coûts et les émissions de gaz à effet de serre.

Le lithium peut être extrait en tant que sous-produit de la géothermie à différentes étapes. © Evgeny Makarov
La centrale géothermique de la société Vulcan Energy Resources près du fossé rhénan supérieur. © Evgeny Makarov

Horst Kreuter est convaincu de pouvoir apporter une solution sur ces trois volets via son entreprise Vulcan Energy Resources. En effet, il ne produit pas seulement du lithium, mais aussi de l’électricité et de la chaleur. Une situation gagnant-gagnant-gagnant, pourrait-on dire.

Le sésame: la géothermie profonde.

Horst Kreuter veut très bientôt produire des milliers de tonnes d’hydroxyde de lithium dans six centrales géothermiques. «Accessoirement, sans impact sur l’environnement ni sur le climat», explique-t-il en poursuivant la visite de la halle de l’usine d’Insheim, dans le Palatinat, près de Karlsruhe. On a le droit de regarder, mais pas prendre de photos. Secret industriel. On saura juste que dans l’installation pilote, les cylindres contenant les adsorbants qui extrairont le lithium des saumures devraient mesurer huit mètres de haut et trois mètres et demi de diamètre.

Un principe simple

Alors que des projets miniers sont (ou devraient être) menés en Finlande, en Espagne et dans le Nord du Portugal pour extraire du lithium de la roche dure, on s’intéresse à ce qu’il y a entre les roches dans le Fossé rhénan supérieur, en Allemagne. Plus précisément, dans l’eau thermale des nappes phréatiques. Les saumures présentes dans la nappe de près de 300 kilomètres de long et 40 kilomètres de large reliant Francfort à Bâle sont particulièrement riches en lithium et particulièrement chaudes, en raison de la géologie de la région.

En Allemagne, on utilise la chaleur issue des entrailles de la terre pour produire de l’électricité depuis le début des années 2000. Le principe des centrales géothermiques est simple. Dans un circuit fermé, comme dans le Rhin supérieur, de l’eau pouvant atteindre 180 degrés Celsius est pompée à plusieurs kilomètres de profondeur vers la surface. L’énergie qu’elle contient fait s’évaporer un fluide de travail, par exemple de l’ammoniac, qui entraîne à son tour des turbines et des générateurs, lesquels produisent de l’électricité. Certaines installations utilisent aussi directement la chaleur à des fins de chauffage, d’autres peuvent parallèlement produire de l’électricité et fournir de la chaleur. Une fois l’énergie produite, l’eau est réinjectée dans le sous-sol, où elle se réchauffe naturellement. Actuellement, il existe 42 installations de ce type en Allemagne.

Le paysage au bord du fossé du Rhin supérieur. © Evgeny Makarov
Horst Kreuter au siège de sa société Vulcan Energy Resources. © Evgeny Makarov

Horst Kreuter nous accueille mi-décembre dans son bureau situé dans la banlieue Est de Karlsruhe, à moins de cinq kilomètres de l’Institut technologique de Karlsruhe (KIT) où il a terminé ses études de géologie dans les années 90. Devant le siège social de Vulcan, des voitures électriques sont alignées dans le froid glacial, tandis qu’à l’intérieur, on sert des biscuits, du thé et du café. Dans le laboratoire voisin, une équipe de jeunes scientifiques cherche à perfectionner les méthodes et les processus internes.

«Le Fossé rhénan supérieur est le fossé le plus étudié au monde. Nous avons ici des conditions idéales pour extraire par géothermie profonde non seulement de la chaleur et de l’électricité, mais aussi du lithium», explique Horst Kreuter. Et ce, de manière quasiment neutre pour le climat et avec un impact minimal sur l’environnement, promet le natif d’Offenbach. Il y a un peu plus d’un an, Vulcan a racheté dans ce but la centrale géothermique d’Insheim, où il optimise actuellement son procédé d’extraction du lithium dans deux installations pilotes. L’eau de lithium concentrée doit ensuite être transportée dans des citernes à Francfort-Höchst, puis transformée en hydroxyde de lithium, dans une installation qui n’existe pas encore.

La résistance s’organise

Mais comme pour le projet d’extraction de lithium mené à Covas do Barroso, au Portugal, la résistance s’organise aussi dans le Fossé rhénan supérieur. Une bonne douzaine d’initiatives citoyennes et de groupements d’intérêt se sont constitués pour stopper les forages, souvent profonds de plusieurs kilomètres. En cause, notamment, plusieurs tremblements de terre provoqués par l’eau thermale réinjectée dans le sol. La terre a tremblé deux fois à Bâle fin 2006 / début 2007. En 2007, les habitants de Landau ont également vécu deux séismes. Les plus fortes secousses enregistrées jusqu’à présent, de magnitude 40, l’ont été en 2021 à Strasbourg.

Thomas Hans est assis à la table de cuisine de sa maison suédoise, dans la banlieue Nord de Karlsruhe. Les mains croisées sur le bois, le professeur de piano raconte sa vision des choses. Au début, son regard paisible et amical dissimule la fermeté de sa position. En effet, cet homme de 63 ans ne vise rien moins que l’arrêt définitif de tous les forages dans la région. Depuis deux ans, il s’engage pour cette cause au sein de l’«Initiative citoyenne contre la géothermie profonde à Karlsruhe».

«Je trouve que toute cette histoire de géothermie et de lithium est extrêmement suspecte. Les tremblements de terre provoqués par les forages. Les dommages causés aux bâtiments, qui ne sont pas totalement pris en charge par les entreprises exploitantes ni par le gouvernement du Land. La communication publique opaque et délibérément brouillée de sociétés comme Vulcan ou Deutsche Erdwärme. Comment pourrait-on être favorable à un tel projet?»

Thomas Hans devant sa maison. © Evgeny Makarov
Dommages sur la façade d’une maison appartenant à un membre de l’Initiative citoyenne contre la géothermie profonde à Karlsruhe. @ Evgeny Makarov

Thomas Hans s’est intéressé au sujet un peu par hasard et s’est de plus en plus documenté durant son temps libre. Depuis, il se mobilise en ligne et lors de réunions d’information pour faire barrage aux entreprises énergétiques. Il n’a pas eu de discussion en face à face avec le patron de Vulcan, Horst Kreuter. «Je ne pense pas que cela servirait à grand chose», admet Thomas Hans. «De toute façon, son entreprise nous ment comme elle respire.»

Thomas Hans fait allusion aux chiffres que Vulcan ne cesse de communiquer au public (et à ses actionnaires) avec une conviction à toute épreuve. Horst Kreuter promet une production de lithium si efficace, si rentable et si fiable que même les autres acteurs du secteur et les instituts de recherche restent perplexes. Selon lui, les forages de production de Vulcan pourraient pomper entre 100 et 120 litres d’eau thermale par seconde et les installations de filtrage pourraient extraire 95 à 96% du lithium des saumures en conditions réelles. En outre, Horst Kreuter est certain que les nappes géothermiques du Fossé rhénan supérieur permettraient de couvrir le quart des besoins européens en lithium.

André Stechern, expert en géothermie profonde à l’Institut fédéral des géosciences et des matières premières (BGR), se montre sceptique: «Dans le Fossé rhénan supérieur, aucune installation géothermique n’a été jusque-là exploitée avec des débits aussi élevés.» Dans une publication de juillet 2022, Valentin Goldberg, chercheur au KIT, écrit en outre que des taux d’extraction de 50 à 60% sont réalistes en conditions réelles. Par ailleurs, les forages actuellement actifs ne permettraient d’équiper que 5 à 19% des batteries que compte produire l’Allemagne avec les ressources du Fossé rhénan supérieur. Dans l’idéal. Concernant l’indépendance vis-à-vis des importations, cela signifie aussi qu’en 2030, selon les estimations du BGR, l’Europe devra encore importer 70% du lithium dont elle aura besoin – même si tous les projets aboutissent et produisent en parallèle.

Les chiffres sont-ils réalistes ?

Vulcan a déjà conclu des contrats fermes avec plusieurs constructeurs automobiles (Volkswagen, le groupe Renault et Stellantis), ainsi qu’avec le fabricant de batteries LG et le producteur néerlandais de cathodes Umicore, et prévoit une production commerciale à partir de 2025 afin de fournir au moins 40 000 tonnes d’hydroxyde de lithium le plus rapidement possible. «Ces prévisions reposent sur les taux d’extraction et de production optimistes annoncés par Vulcan. À ma connaissance, aucun procédé expérimental n’a encore été publié, notamment pour documenter une extraction presque intégrale», explique Martin Sauter, directeur de l’Institut Leibniz de géophysique appliquée à Hanovre. Indépendamment de ce facteur, le taux d’extraction serait peu pertinent pour déterminer le rendement d’un site de production. «La taille de la nappe phréatique et le taux de libération du lithium de la roche sont plus importants», poursuit Martin Sauter. Ce dernier point reste à étudier dans le cadre d’expériences complexes menées sur le terrain.

Horst Kreuter rejette les critiques concernant ses chiffres. Il rétorque que les instituts scientifiques se basent en partie sur des méthodes et des chiffres obsolètes. «L’extraction du lithium a débuté non pas en Europe, mais en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, en Australie et en Chine. Nous avons acheté l’expertise dans ces pays et avons ainsi deux longueurs d’avance sur la concurrence. Nous atteindrons ces débits et ces taux d’extraction élevés.»

Horst Kreuter ne connaît pas le doute.

Une collaboratrice dans le laboratoire de Vulcan Energy Resources. Des mesures et des analyses sont effectuées sur l’eau thermale. © Evgeny Makarov

Lorsqu’en octobre 2021, la plateforme américaine de vente à découvert J Capital Research a publiquement remis en question les chiffres, les méthodes et les prévisions diffusés par Vulcan, l’entreprise a porté plainte au pénal. Les deux parties sont parvenues à un accord extrajudiciaire.

Cela n’a guère entamé l’intérêt des investisseurs. L’entreprise germano-australienne est cotée en bourse à Sydney et à Francfort et a déjà réussi, selon ses propres dires, à lever près de 320 millions d’euros. Horst Kreuter accepte sans broncher que Gina Rinehart, une négationniste notoire du changement climatique d’origine humaine, fasse partie des gros actionnaires: «Une entreprise ne peut pas choisir ses investisseurs.»

La durabilité est également étudiée

Vulcan n’est pas seul en lice pour exploiter le lithium du Fossé rhénan supérieur. Le distributeur d’énergie du Bade-Wurtemberg EnBW est lui aussi de la partie. Mais il est davantage engagé dans une course de fond que dans un sprint. «Nous nous considérons avant tout comme un projet de recherche. Il faudra encore quelques années avant que la technologie d’extraction du lithium à partir d’installations géothermiques soit prête à être mise sur le marché», explique Thomas Kölbel, géologue et responsable des questions de géothermie et d’extraction du lithium chez EnBW.

En collaboration avec des experts du KIT, son équipe effectue des recherches dans l’installation géothermique de Bruchsal depuis décembre 2020. L’installation est discrètement implantée entre un quartier résidentiel et une zone industrielle, à 20 kilomètres à peine au nord-est de Karlsruhe. Tandis qu’à côté du site, des membres de la direction locale de la police font leur jogging, bien emmitouflés, dans le froid glacial de décembre, une chercheuse prélève des échantillons d’eau thermale pour effectuer le «test de traçage». En janvier 2022, un colorant a été injecté dans la nappe phréatique. Quand et en quelle quantité il réapparaît à la surface permet de savoir si la ressource en eau thermale est durable et donc de déterminer pendant combien de temps une extraction durable du lithium est possible à Bruchsal.

Thomas Kölbel est habillé plutôt légèrement pour affronter les températures négatives. «Il fait sacrément froid», dit-il en se réchauffant les mains sur un énorme tube. À travers un hublot, il peut voir les saumures à 126 °C jaillir du sol et prendre la direction de la centrale. «Les tests montrent qu’il est tout à fait possible d’extraire du lithium à partir de la géothermie. Mais il est encore trop tôt pour savoir quelles quantités pourront être produites avec fiabilité à l’échelle industrielle. Nous manquons tout simplement de valeurs empiriques», explique Thomas Kölbel. En juin dernier, les saumures ont permis de produire du lithium pour la première fois. À peine 100 grammes. Un premier test, réalisé avec une installation louée en France. Entre-temps, le site de Bruchsal a également construit un prototype d’installation de production.

Un hublot permet de voir l’eau thermale chaude qui s’écoule dans les tuyaux. © Evgeny Makarov
Le paysage près de Bruchsal. La région est plus connue pour le vin que pour la géothermie. © Evgeny Makarov

La centrale de Bruchsal fonctionne depuis 2009 et n’a jamais fait l’objet de plaintes de la part de la population, selon Thomas Kölbel. Les données de mesure fournies par de nombreux systèmes de monitorage prouveraient qu’aucune sismicité n’a été générée par le site. Et même si c’était le cas, un système d’alerte précoce permettrait soit de réduire la pression de l’eau lors du pompage des saumures, soit de stopper l’exploitation avant que des dégâts ne surviennent.

Joachim Ritter, géophysicien au KIT, doute de l’efficacité de ces systèmes d’alerte: «Jusqu’à présent, aucun exploitant de site n’a pu me citer ne serait-ce qu’un cas où ils ont fonctionné.» De plus, les secousses les plus fortes se produisent souvent plusieurs mois après l’arrêt du pompage. C’est ce qui s’est passé à Vendenheim, près de Strasbourg. Six mois se sont écoulés avant que l’eau réinjectée n’y provoque le plus fort séisme. «Aucun système d’alerte ne peut empêcher cela», affirme Joachim Ritter.

L’engouement pour le lithium extrait par géothermie en tant qu’alternative d’extraction respectueuse de l’environnement ressemble à celui suscité par la solution d’extraction minière dans la roche dure: les entreprises se disent sûres de leur victoire (plus ou moins, selon le cas), mais elles sont pour l’instant freinées par la résistance de la population. La recherche d’une solution simple et respectueuse de l’environnement se poursuit.


Florian Sturm travaille comme journaliste indépendant pour divers magazines et journaux en Allemagne et à l’étranger et s’intéresse principalement aux thèmes de la science, de la société et de la culture. Pour ses reportages, il aime se déplacer dans son van avec son chien et son carnet de notes. Il travaille actuellement à son premier livre sur le thème de la protection des océans.

Evgeny Makarov, né en 1984 à Saint-Pétersbourg, est arrivé en Allemagne avec sa famille en 1992. Il y a étudié les sciences politiques à l’université de Hambourg et a découvert la photographie comme moyen de saisir la réalité sociale de manière plus directe qu’avec une approche académique.