Laura Schälchli se passionne pour une cuisine savoureuse, simple et saine. Avec son projet «Sobre Mesa», cette adepte de la mouvance «slow food», domiciliée à Zurich, veut promouvoir les rencontres autour de la culture gastronomique. Ses cours, ses dégustations et ses ateliers évoquent les producteurs de notre nourriture, mais aussi les questions politiques sans oublier le plaisir gustatif. Pour le magazine Greenpeace, Laura Schälchli a créé une recette simple mais surprenante. Entretien sur les bâtonnets de poissons et les hot-dogs, les betteraves et le risotto, mais aussi sur le sang et la mort.

Propos recueillis par Tanja Keller, Greenpeace Suisse

Quel a été ton projet culinaire le plus fou ?

Toute la question des produits d’origine animale me préoccupe beaucoup, en particulier les sous-produits tels que le sang animal. C’est un sujet tabou dans la société actuelle. J’ai donc voulu découvrir le sang comme ingrédient. En cherchant dans l’histoire culinaire, j’ai découvert la valeur historique du sang, avec sa culture alimentaire. J’ai rassemblé d’anciennes recettes faisant intervenir le sang animal. Tout ceci a donné lieu à un manifeste intitulé «Blood for Food» (pour en savoir plus : www.sobre-mesa.com/bloodforfood).

Tu as dû faire sensation…

Effectivement, la campagne sur le sang a choqué beaucoup de gens. Mais le sujet est important et ancré dans notre culture. Le sang est une essence vitale pour toutes les créatures. C’est un élément inévitable dans une ferme intégrative qui élève des animaux de rente. Le sang est essentiel pour l’animal, tout comme la mort est fondamentale pour le cycle de la vie. C’est aussi une source de protéines très durable. Chaque jour, le sang animal est jeté, parce que nous préférons manger d’autres produits d’origine animale, ou des aliments végétaux.

Comment as-tu découvert ce sujet ?

Pendant ma formation en Italie, j’ai eu le temps de m’intéresser à la question et de développer des recettes. Même si, depuis la maladie de la vache folle, l’Italie interdit la vente de sang. Je connais un boucher italien qui tient une petite boucherie. Il m’a appelée et m’a dit : «Laura, viens à la boucherie, et n’oublie pas d’apporter quelques bocaux.» En arrivant, j’ai été fascinée par le respect des gens envers l’animal mort. Les bouchers dégageaient une présence et une dignité incroyables, comme des apiculteurs travaillant avec leurs abeilles. Je suis donc allée à la boucherie et j’ai vu des vaches debout avec leurs fermiers. Le boucher m’a demandé : «Tu es prête ?»

(© Isabel Truniger)

Et après ?

Surprise, j’ai dit : «Oui, je suis prête!» Et j’ai tenu le seau pour recueillir le sang pendant l’abattage.

Qu’est-ce que tu as ressenti ?

J’avais déjà assisté plusieurs fois à l’abattage d’un porc. Il y a de petits abattoirs dans l’Oberland zurichois qui traitent les animaux avec beaucoup de respect. L’animal est conduit dans le local puis abattu, tout ceci dans la dignité

N’est-ce pas terrible à regarder ?

Bien sûr, c’est assez choquant. Mais tu as le cycle de la vie devant les yeux, la nature, la mort. C’est totalement authentique.

Qu’as-tu fait du sang ?

Je suis rentrée chez moi avec mes bocaux de sang chaud. Dès que le sang refroidit, il coagule. J’arrive donc chez moi, et ma mère me regarde avec de grands yeux. Ensemble, nous avons cuisiné une recette de pâtes, mais avec du sang au lieu d’un œuf. Le sang, c’est vraiment bon ! Quiconque en a déjà mangé sait de quoi je parle.

On croirait que tu as l’habitude de voir des animaux abattus. Tu as grandi dans une ferme ?

Non, pas du tout. J’ai grandi avec des bâtonnets de poisson.

D’où vient ce lien à la culture alimentaire ?

Ce qui m’a toujours fascinée, concernant la nourriture, ce sont les gens qui la produisent. Le travail des producteurs, leur proximité avec les aliments, c’est une chose extrêmement riche pour moi. Quand je vois tout ce que la production alimentaire exige, la passion et l’effort nécessaires, et que je constate que les gens ne savent à peu près rien de cette dimension, cela m’incite à transmettre mon savoir. Bien sûr, j’entends régulièrement dire que le prix des aliments serait trop élevé en Suisse. Mais quand on sait tout ce que la production alimentaire représente, on ne pense plus que la nourriture est trop chère.

Est-ce que tu es cohérente dans tes choix alimentaires ? Ou y a-t-il quelque chose dont tu n’es pas très fière ?

Je suis cohérente dans ma démarche. Quand le portail Coop Fooby m’a sollicitée pour une coopération, j’ai refusé. Je ne veux pas créer des recettes avec des ingrédients qui ne sont disponibles qu’à la Coop. Je déteste les supermarchés.

Quelle est ton attitude face aux contradictions alimentaires des gens ?

Je ne juge pas les contradictions des autres. Moi-même, je n’ai pas ces contradictions, parce qu’à mes yeux, la nourriture est quelque chose de très simple. Si on travaille avec des ingrédients simples achetés au marché, on a automatiquement moins d’emballages. Il n’y a pas de contradictions. Les aliments qui contiennent plus de trois ingrédients ne m’attirent même pas. Manger doit être aussi simple que possible.

Et la dimension du plaisir ?

Le plaisir est là ! C’est très agréable de cuisiner avec ce qui est disponible et de saison. Il y a souvent un assez grand choix, et il n’est pas difficile d’en faire quelque chose que les gens connaissent, mais dans une combinaison nouvelle. On fait redécouvrir les aliments dans un nouveau contexte… (Elle sourit…) Tiens, je constate quand même une contradiction : j’adore les branches de chocolat Torino. En fait, ce n’est même pas du chocolat, mais j’aime tellement les Torino que j’en achète de temps en temps au kiosque.

Si on t’invite à manger, quelles sont tes attentes alimentaires ?

Du fait de mon activité professionnelle, les gens n’osent presque plus m’inviter. Alors que je mange de tout, y compris les bâtonnets de poisson ! Récemment, ma filleule a fêté son anniversaire. Sa mère m’a appelée pour me dire : «Laura, tu sais qu’il y aura des hot-dogs…» Ce n’était pas du tout un problème pour moi. Elle m’a fièrement montré qu’elle trie les déchets plastiques… C’est comme ça que le changement se fait. Ce sont les bons gestes qui comptent.

Quel est la particularité de ta démarche gastronomique ? Qu’est-ce qui te distingue ?

Il n’y a pas beaucoup de gens qui proposent des événements culinaires sur le thème de la durabilité. Maurice Maggi est peut-être le plus connu, avec Sebastian Funk et Anna Pearson. Surprenant, car quand je suis des cuisiniers sur Instagram, leurs propositions me paraissent souvent douteuses, par exemple des recettes de fraises en février…

La nourriture est-elle devenue un culte ?

J’ai récemment été invitée à un repas à cinq services, mais j’ai constaté que n’est plus vraiment ce qui m’intéresse. Bien que j’aie apprécié l’invitation, je préfère la cuisine simple.

La simplicité semble également essentielle dans ta recette créée pour le magazine Greenpeace. Comment as-tu développé l’idée de la recette ?

J’ai d’abord pensé à une recette aux légumineuses, qui sont un ingrédient important de la cuisine durable. Cela soutient également les agriculteurs qui cultivent des produits régionaux. J’ai aussi réfléchi à un menu inspiré du livre de cuisine «Leaf to Root» d’Esther Kern. Ensuite l’idée m’est venue d’utiliser du souchet comestible cultivé par l’agriculteur Matthias Hollenstein, qui mise sur le principe «slow grow» (voir le reportage sur l’agriculture régénératrice dans le magazine 02/19). Malheureusement, le souchet n’est pas encore de saison. Finalement, j’ai choisi une recette simple dont la base est familière, mais avec des ingrédients surprenants et originaux. Et il fallait que ce soit un mets végétarien. La betterave rouge est souvent mal-aimée, beaucoup sous-estiment ce merveilleux légume rouge. Le fromage de chèvre frais, associé aux éclats de cacao, donne au risotto une note spéciale.

Les éclats de cacao brut, ce n’est pas vraiment un ingrédient classique du risotto…

Oui, c’est inhabituel. Les éclats de cacao sont l’essence même du chocolat, comme le sang dans la viande. Tout le monde aime le chocolat, mais on ne le connait que comme dessert. Alors que la fève de cacao est nourrissante et très saine. Elle contient 11 % de protéines et pas du tout de sucre, contrairement à ce que l’on pourrait croire.

Que peut-on faire d’autre avec des éclats de cacao ?

Les éclats de cacao sont délicieux dans le muesli, mais aussi dans les sablés et autres biscuits. On peut aussi les grignoter tels quels, c’est très bon.

Mais avec le cacao, il y a souvent des problèmes de durabilité.

Notre cacao est acheté auprès d’agriculteurs spécialement choisis au Brésil, en Équateur et au Venezuela. Les producteurs sont rémunérés équitablement et la fabrication du chocolat se fait en Suisse. Je connais personnellement tous les producteurs. C’est important pour moi, et je peux donc éthiquement assumer ce produit.

Tu utilises également du fromage de chèvre pour ta recette. Que penses-tu des produits laitiers ?

Mes recettes ne sont pas moralisatrices. Concrètement, le fromage de chèvre frais provient également d’un agriculteur suisse. J’ai pensé au problème de la production laitière, en développant la recette. Mais je peux défendre ce produit, car ce qui compte pour moi, c’est de savoir comment les animaux sont traités, et de connaître la race de l’animal. Ceux qui ont un problème avec les produits laitiers ou les éclats de cacao, je les invite à m’écrire et je leur indiquerai une alternative. Je renseigne volontiers les gens, et j’aime le contact personnel. L’essentiel, c’est que les personnes soient intéressées.

Qu’est-ce qui te préoccupe, en matière de culture alimentaire, ces derniers temps ?

Beaucoup de gens ne savent pas grand-chose du système alimentaire. Cela me motive à intervenir. J’en ai un peu marre de l’éternelle discussion sur le prix des aliments… Dans mes cours, j’aimerais expliquer pourquoi telle ou telle chose coûte un peu plus cher, faire comprendre la valeur de l’aliment. C’est ce savoir que je souhaite diffuser.

Que dis-tu aux gens qui souhaitent acheter des produits durables avec un petit budget ?

Je leur conseille d’acheter des produits de saison. Ce sont généralement les moins chers. Cela restreint le choix, ce qui n’est pas forcément négatif. Personnellement, j’adore ce défi. En général, il vaut la peine de cuisiner des légumineuses, qui sont abordables pour les petits budgets. Enfin, je recommande d’acheter les légumes ou la viande à la ferme. Cela peut devenir un événement que l’on vit en famille, et tout le monde est gagnant.

Comment est-ce que tu restes en contact avec la société dans son ensemble ?

Parfois, je m’expose à la réalité et je vais au centre commercial de Letzipark, à Zurich, le samedi. Je me concentre sur les étalages de plats à emporter de Coop, et je regarde ce que les gens achètent. Ça sent la friture, la viande et les arômes artificiels. Et je vois qu’il y a encore beaucoup à faire…

Avec tes cours, tu ne touches qu’un petit groupe cible, généralement de personnes qui sont déjà sensibilisées au sujet. Comment atteindre les masses ?

Nous avons un cours avec les œnologues de Herzog & Vombach, intitulé «Se soûler en beauté». Le cours ne porte pas seulement sur la consommation d’alcool, mais aussi sur ce qui se cache derrière un produit agricole comme le raisin. On apprend beaucoup sur le vin, la température, etc. Mais indirectement, on apprend aussi à faire attention à ce qui est important en œnologie ou lors de l’achat d’un vin.

Et tu penses ainsi toucher les masses ?

Il est très difficile d’atteindre un groupe cible important. Ma manufacture de chocolat touche déjà un grand nombre de personnes. C’est un début. Tout le monde aime le chocolat.

Est-ce que tu te qualifierais de spécialiste de la cuisine durable ?

On trouve rarement le mot «durabilité» dans mes textes. Je préfère surprendre les gens, et éviter la dimension moralisatrice. Mon approche passe davantage par l’inspiration.

Quel message voudrais-tu faire passer aux adhérents Greenpeace ?

Je souhaite que les gens comprennent les corrélations, qu’ils voient les dessous du système alimentaire. Ils devraient regarder attentivement ce qu’ils achètent. Parce que notre sol est l’essence même de la nourriture, et que le problème du climat est omniprésent. Examinez les emballages, et achetez dans des magasins «zéro déchet» ou directement à la ferme.

Zéro déchet, tout le monde en parle en ce moment. Est-ce que tu abordes le sujet dans tes événements ?

Oui, j’essaie d’en parler. Si une personne ou une famille essaie de vivre sans emballages, je soutiens cette démarche. C’est une expérience à tenter. Au début, il faut beaucoup de persévérance, parce qu’il faut restructurer son quotidien. Mais avec le temps, c’est une approche rentable financièrement, on peut même économiser de l’argent. Surtout si on achète en grandes quantités, et qu’on opte pour les produits régionaux. Et il est possible de fabriquer soi-même son produit à lessive, etc. C’est un laboratoire d’essai idéal pour tous. Et on se fait plaisir par la même occasion.

Qui est responsable de veiller à ce que nos enfants connaissent la valeur de la nourriture, conservent un lien avec la nature ?

Il est très important que la nourriture et le système de production alimentaire soient abordés à l’école. L’organisation Slow Food essaie de s’impliquer dans l’éducation. Elle a développé un «Slow Mobile» que toute école peut faire venir. On y apprend beaucoup sur la production de divers aliments comme la farine, depuis le grain jusqu’à la fabrication de pâtes. C’est un début pour notre jeune génération. Les enfants sauront ainsi d’où vient leur nourriture, et ce que la production implique.

Risotto aux betteraves rouges avec fromage de chèvre frais et éclats de cacao

(© Isabel Truniger)

 Ingrédients pour 4 personne

  • 1 litre de bouillon de légumes ou d’eau salée
  • 1 oignon finement haché
  • 80 g de beurre
  • 300 g de riz pour risotto
  • 1 dl de vin blanc
  • 200 g de betteraves rouges cuites, finement hachées ou mixées*
  • 300 g de fromage de chèvre frais
  • 40 g d’éclats de cacao (ou de noix comme alternative locale)

Je varie la recette classique, en renonçant à l’huile d’olive et au parmesan. Avec des épluchures ou des légumes restants, il est facile de faire un bouillon. Sinon l’eau salée fait également l’affaire. J’utilise des produits biologiques et locaux, et j’achète mes ingrédients sans emballage dans la mesure du possible.

Préparation

  • Dans une casserole, faire fondre deux cuillerées de beurre, et faire revenir les oignons à feu doux pendant environ 10 minutes, sans les laisser noircir.
  • Ajouter le riz et augmenter un peu le feu. Faire rôtir les grains de riz pendant quelques minutes, puis déglacer avec le vin blanc.
  • Réduire un peu le feu et ajouter le bouillon petit à petit à la louche. Après chaque apport de bouillon, remuer le riz jusqu’à ce que le liquide soit absorbé. S’assurer que la casserole est suffisamment chaude – le contenu devrait bouillonner. Faire cuire environ 15 minutes et ajouter juste assez de liquide pour que le risotto devienne crémeux tout en restant granuleux.
  • Ajouter les betteraves et bien mélanger. Saler et poivrer. Retirer ensuite la casserole du feu et ajouter le reste du beurre et la moitié du fromage de chèvre frais, remuer, couvrir et laisser reposer pendant quelques minutes.
  • Retourner le reste du fromage de chèvre sur une assiette dans les éclats de cacao. Au moment de servir, disposer le fromage de chèvre frais avec les éclats de cacao sur le risotto à l’aide de deux cuillères à soupe.

* Faire bouillir les betteraves : soit les cuire entières à l’étouffée, puis les peler ; soit faire rôtir les morceaux pelés au four à 180 °C. Hacher ensuite finement à la main ou réduire en purée au mixeur.