La hausse de la demande en viande, soja, papier et huile de palme sur les marchés mondiaux représente aujourd’hui le principal facteur de déforestation. Cela, nous le savions déjà. Mais cette expansion soutenue de l’industrie agricole semble également profiter au commerce de bois illégal.


En Indonésie, les essartages illégaux par le feu ont pris une ampleur particulièrement inquiétante. ©Greenpeace/Ifansasti

 De récentes études sur les causes de la déforestation pointent l’expansion rapide de l’agriculture commerciale. Un petit groupe de produits d’exportation accapare le haut du tableau. En Amérique latine, il s’agit principalement de la production à grande échelle de viande et de soja. En Asie du Sud-Est, c’est surtout la production de pâte à papier, de papier et d’huile de palme qui favorisent la déforestation.

À l’origine de cette destruction des forêts, on retrouve la demande en augmentation pour ces produits sur les marchés internationaux. Le Brésil exporte la majeure partie de sa production de soja. La Malaisie et l’Indonésie représentent ensemble plus de 80% de la production mondiale d’huile de palme et en exportent plus de 80%. Une étude récente révèle que l’Europe, à l’échelle du monde, est de loin le plus grand consommateur de denrées dont la production stimule la déforestation. L’empreinte de l’Europe en termes de déforestation a été, au cours de la dernière décennie, deux fois plus importante que celles de la Chine et du Japon réunis.
 
Depuis quelques années, on constate également que cette déforestation accélérée au profit de l’agriculture commerciale influence en profondeur le marché international des bois durs tropicaux. L’exploitation forestière précède en effet souvent une réaffectation des terres, dans le cadre de laquelle les revenus issus de la vente du bois servent de capital destiné au développement de projets agricoles. Une étude britannique commandée par l’organisation Forest Trends estime qu’au moins la moitié de tous les bois tropicaux négociés dans le monde provient de forêts détruites pour l’aménagement de cultures. Les premiers résultats de cette étude indiquent aussi que plus de 50% de ces reconversions de forêts en cultures pour l’industrie agricole se font dans l’illégalité. Le bois qui en est tiré doit dès lors, lui aussi, être considéré comme illégal.

Au Brésil, par exemple, l’analyse de récentes photos satellites montre qu’une grande partie de la déforestation à des fins d’élevage et de culture du soja est en infraction avec les autorisations octroyées aux entreprises concernées. En Indonésie, l’essentiel de la déforestation actuelle doit être imputé à l’essor rapide de l’industrie de l’huile de palme. De nombreuses études dénoncent les méthodes utilisées en Indonésie par les entreprises productrices d’huile de palme pour contourner la législation: les forêts sont rasées pour leur substituer des plantations non autorisées; l’exploitation de certaines forêts implantées sur des tourbières, bien qu’interdite, est malgré tout souvent observée; des forêts sont volontairement incendiées par des producteurs d’huile de palme qui convoitent ces terres, etc. Les multiples conflits d’intérêts entre la sphère politique et l’industrie agricole encouragent en outre la corruption et étouffent, parfois totalement, la répression des pratiques illégales.

Au sein de l’Union européenne, une nouvelle législation est entrée en vigueur en mars 2013 afin de rendre punissable l’importation de bois illégal. Son efficacité reste toutefois à prouver. Malgré l’existence de cette nouvelle réglementation, Greenpeace a déjà constaté à plusieurs reprises que du bois congolais abattu illégalement pouvait toujours être importé sans risque de sanctions sur le territoire européen. Les États membres de l’UE ne sont manifestement pas encore capables d’appliquer ces nouvelles règles.

Les accords de partenariat volontaires que l’UE conclut depuis quelques années avec une série de pays grands producteurs de bois (tels que le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Libéria et l’Indonésie) en vue d’améliorer la gestion forestière et d’enrayer les coupes illégales ne tiennent pas suffisamment compte de la problématique de la conversion des forêts en faveur de l’agriculture industrielle. L’Indonésie, par exemple, a signé en octobre 2013 le dernier accord de partenariat volontaire en date avec l’Union européenne. Greenpeace a salué cet accord, car l’Indonésie démontre par cette démarche qu’elle est disposée à combattre la corruption et les pratiques illégales. Mais Greenpeace a parallèlement averti l’Indonésie, que si elle souhaite renforcer la crédibilité de sa politique forestière, elle doit décréter une interdiction de la réaffectation de zones de forêt tropicale pour y implanter des cultures commerciales.

Il ne suffit pas de lutter contre les formes illégales de déforestation. Une approche trop polarisée sur la « légalité » peut même déboucher sur des effets contraires. Beaucoup d’entreprises parviennent ainsi à faire légaliser leurs pratiques illégales en demandant et en obtenant après coup les autorisations exigées. Dans certains pays tels que le Cameroun et le Brésil, on envisage même d’assouplir la réglementation sur le bois au lieu de la durcir. Des projets de déforestation encore interdits aujourd’hui pourraient ainsi à l’avenir être considérés comme parfaitement légaux.

De nouvelles initiatives politiques sont activement recherchées pour s’assurer que des produits tels que la viande, le soja, le papier et l’huile de palme échangés sur les marchés internationaux ne proviennent plus de la déforestation au profit de l’agriculture industrielle. L’Union européenne est consciente de l’enjeu et étudie un plan d’action afin de traiter ce problème. Un tel plan devra aborder la consommation de ces produits au sein de l’UE sans oublier la collaboration avec les pays producteurs pour y consolider la politique forestière au niveau local.

Greenpeace maintient la pression sur les autorités et les entreprises afin d’adopter des mesures débouchant sur l’acceptation par les secteurs de l’agriculture industrielle d’une politique garantissant que leurs activités ne soient plus une source de déforestation.