Si nous voulons protéger le climat et la biodiversité, et préserver ainsi les bases naturelles de nos vies, il faut que nos fonds de prévoyance soient enfin gérés de façon durable. La stratégie de durabilité de la plupart des caisses de pension suisses est toutefois très en retard. C’est ce que montre l’analyse des documents que nous avons pu obtenir grâce à des assurés·ées motivés.

Début février 2023, des militant·es Greenpeace ont organisé une manifestation artistique pour appeler les assurés·ées suisses à contacter leur caisse de pension et lui poser des questions concrètes sur sa durabilité. Cet événement joyeux et coloré a eu de l’effet, et ces dernières semaines, plus de 1’200 personnes ont utilisé notre outil en ligne « Pension Watch » pour poser 5 questions concrètes et techniques à leur institution de prévoyance et lui demander des comptes sur sa durabilité. 

L’année dernière, nous avons publié dans un rapport nos calculs sur les investissements moyens des caisses de pension dans des entreprises qui détruisent les forêts tropicales. Nous avons pu montrer concrètement que les caisses de pension ont investi au moins CHF 60 milliards dans des entreprises particulièrement responsables de cette déforestation. L’analyse des règlements d’investissement nous a permis de constater que beaucoup de caisses de pension utilisent insuffisamment l’influence dont elles disposent en tant qu’investisseur et copropriétaire de ces entreprises – ou alors ce n’est pas visible dans leur documentation. 

Le « ballet de la forêt », spectacle de danse verticale des militants de Greenpeace pour demander des caisses de pension plus respectueuse du climat. © Jorma Mueller / Ex-Press / Greenpeace

Évaluation des réponses des caisses de pension

Comme il n’y a que peu de caisses de pension qui informent de façon transparente sur leur stratégie en matière de durabilité, nous sommes reconnaissants à tout·es les assurés·ées qui ont utilisé notre outil en ligne « Pension Watch » pour contacter leur caisse de pension et qui nous ont transmis la réponse, pour autant qu’il y en ait eu une. 

Nous avons analysé les réponses et les avons notées selon les critères suivants :

  • Qualité de la réponse : Avons-nous reçu une réponse ? La caisse de pension a-t-elle répondu aux questions ? Les réponses sont-elles compréhensibles ? etc.
  • Évaluation du contenu des déclarations 
    • sur la décarbonation du portefeuille
    • sur les mesures contre la déforestation
    • sur les mesures concernant la décarbonation du portefeuille immobilier
    • sur la prise d’influence dans les entreprises investies par le dialogue (engagement process), la votation (voting) et des résolutions 
    • sur les investissements dans des solutions durables (impact investments).

Pour notre évaluation, nous avons pris en compte les réponses fournies par les assurés·ées. Lorsque les caisses de pension n’ont pas répondu directement, nous avons fait preuve de beaucoup de bonne volonté en allant chercher dans tous les documents accessibles. Nous l’avons fait dans une mesure raisonnable pour une personne assurée. 

Ce tableau documente l’évaluation des différentes réponses ainsi que le fil conducteur des évaluations ; il donne aussi d’autres explications (réponses et évaluation des caisses de pension en matière de durabilité) -> voir le tableau

En résumé, nous pouvons dire :

La majorité des caisses de pension n’est pas prête à répondre aux questions des personnes assurées. Cela concerne en particulier les réponses à des questions spécifiques sur la durabilité. Au moins 130 caisses de pension ont reçu un mail d’une personne assurée. Mais en fin de compte, nous n’avons pu analyser que les réponses de 46 caisses de pension. Cette façon d’ignorer ses propres assurés·ées est particulièrement irritante de la part des grandes caisses et des caisses de droit public comme celles des Cantons du Jura, de Genève, de Schaffhouse, de Zoug, de Swisscom, de la Sammelstiftungen Helvetia et de Vita Invest.

Seule une minorité des institutions de prévoyance qui ont répondu ont fournit des réponses concrètes à des questions spécifiques sur la durabilité (p. ex.  ASGA, BLPK, PKSL, Previs, Publica, PKZ, Abendrot, Nest). La majorité des caisses fournit des lieux communs à ses assurés·ées ou renvoie au règlement des investissements ou à la stratégie en matière de durabilité où les réponses doivent être activement recherchées , souvent avec peine. Nous n’avons en outre que rarement pu trouver des informations précises dans les documents accessibles. (Sont particulièrement négatives p. ex. Coop-PK, Fonds de compensation AVS Compenswiss et Siemens). Conclusion : De nombreuses caisses ne prennent pas les questions et les demandes des assurés·ées au sérieux ou ne considèrent pas qu’il est de leur devoir de répondre à des questions spécifiques concernant la durabilité (Sika).

La façon dont nous investissons aujourd’hui détermine la vie de demain. © Jorma Mueller / Ex-Press / Greenpeace

Les 18 autres caisses dont nous avons pu évaluer les réponses concrètes montrent une image diversifiée en matière d’engagements pour la durabilité. 

Trop peu de caisses de pension abordent la décarbonation de leur portefeuille d’investissements de façon systématique. Et lorsque c’est le cas, peu nombreuses sont celles qui se sont fixé des objectifs intermédiaires. C’est pourtant essentiel, car un objectif climatique à long terme d’ici 2050 ne vaut rien si des objectifs intermédiaires ne fixent pas le rythme de la réduction des émissions. (comme le font p. ex. Publica etMigros). Les objectifs intermédiaires manquent p. ex. chez la caisse de pension des Cantons de Berne, de Soleure et d’Argovie ou chez  Profond et SRG.

L’évaluation de l’efficacité de la prise d’influence des caisses de pension dans les entreprises investies (engagement & voting) au moyen du dialogue, de résolutions et de votations s’est avérée difficile, car dans la plupart des cas, les indications à ce sujet étaient formulées de façon très peu concrète, ou alors elles renvoient à des prestataires de service en matière d’engagement. Il est toutefois clair que la grande majorité des caisses utilise trop peu cette façon d’agir en faveur de la durabilité. 

Manque d’utilisation du droit de vote

Si elles utilisent leur droit de vote, les institutions de prévoyance laissent généralement la décision à leurs gérants·es qui agissent principalement pour un rendement à court terme. De rares exceptions positives indiquent utiliser leur droit de vote en faveur d’objectifs de durabilité en suivant les recommandations de prestataires de service comme ETHOS, EOS at Federated Hermes, ISS-ESG ou Inrate. (P. ex. Retraites Populaire (CIP, CPEV),  Abendrot, Previs). Ces prestataires de service ne conseillent toutefois que rarement d’appliquer le moyen le plus efficace si les objectifs de durabilité ne sont pas suffisants, soit ne pas réélire la personne qui en est responsable au conseil d’administration. Dans ce domaine, les pionniers pourraient aussi en faire plus.

Les fonds de prévoyance pourraient influencer bien davantage la stratégie et le comportement d’une entreprise dans laquelle ils investissent. © Greenpeace / Nicolas Fojtu

Pour prendre de l’influence au moyen de dialogues d’engagement, les caisses durables s’organisent en pools d’engagement. Dans ce cas nous avons donné la meilleure note à une adhésion chez « ETHOS-Engagement Pool International » ou chez « EOS at Federated Hermes » parce que ces prestataires influencent de nombreuses entreprises qui ont un impact sur le climat et la forêt. (P. ex. PKZ, Previs, BPK, Retraites populaires (CPEV, CIP), PKBS, BLVK, Abendrot, APK, CPCN, Nest, PKSG (Pensionskasse St. Gallen), PKAR (Pensionskasse Appenzell Ausserrhoden)) Elles semblent en outre moins craindre une escalade et ne craignent pas de recommander aux caisses de pension qui en sont membres de retirer leurs investissements d’une entreprise en particulier (recommandation d’exclusion). C’est le contraire du pool d’engagement SVVK-ASIR dont le manque de transparence ne permet en outre pas de comprendre facilement si les processus d’engagement sont conduits avec détermination (Post, Publica, SBB, Migros, Compenswiss). Le nombre d’entreprises sur lesquelles les pools d’engagement prennent de l’influence est toutefois limité. Il devrait être largement étendu, car TOUTES les entreprises doivent devenir plus durables. Les caisses de pension devraient aussi s’engager bien plus fortement dans leurs pools pour l’aboutissement de demandes de la part des actionnaires en faveur des efforts de durabilité des entreprises. C’est trop peu souvent le cas, raison pour laquelle on ne vote pratiquement pas sur de telles demandes. 

Impact Investment

La compréhension des termes n’est pas claire ni harmonisée en ce qui concerne les investissements dans des solutions durables au moyen d’impact investments. Il n’est de ce fait pas possible de classifier ni d’évaluer les déclarations des institutions de prévoyance dans ce domaine. Certaines caisses de pension indiquent des investissements sur le marché des énergies renouvelables ou dans la microfinance. D’autres craignent par contre de faire des déclarations claires à cause du manque de définitions. Le régulateur doit urgemment clarifier la situation pour que ce moyen d’action soit plus utilisé.

Conclusion : La plupart des caisses de pension contactées ont évité de répondre. Nous avons donc principalement évalué les réponses des caisses de pension qui s’engagent déjà à un certain degré pour la préservation des bases naturelles de la vie. Mais celles-ci ont encore beaucoup de potentiel. Ça n’encourage pas à l’optimisme pour la plus grande partie des caisses de pension – plus de 1’000 institutions de prévoyance sont actives en Suisse. 

Il est d’autant plus important que les autorités de régulation rendent la transparence sur la durabilité des caisses de pension obligatoire. Et il est encore plus important que toutes les institutions de prévoyance suivent cette année déjà une stratégie d’investissement qui ne considère pas que la durabilité et le rendement sont antagonistes, mais se base sur la réalité que sans durabilité il ne pourra pas y avoir de prospérité dans le sens d’une « bonne vie » dans le futur. La préservation des conditions de vie naturelles et sociales constitue la base de la prospérité et fait donc partie du mandat de base de chaque institution de prévoyance, dans l’intérêt des personnes assurées.

L’appel a été remis

Aujourd’hui, nous avons donné du poids à cette revendication en remettant l’Appel pour des caisses de pension durables. Près de 18’000 personnes, assurées ou pas, appellent les caisses de pension, le Parlement et le Conseil fédéral à prendre des mesures dans ce domaine. Nos revendications sont les suivantes:

Les caisses de pension doivent orienter toutes leurs activités vers les objectifs du développement durable. Notamment en ce qui concerne le climat, la biodiversité et la transition socialement responsable. Elles doivent faire preuve de la plus grande transparence possible sur leur stratégie et leurs progrès.

a) Nous appelons les caisses de pension à devenir transparentes sur leur stratégie actuelle de durabilité afin de montrer comment elles contribuent à ce que l’économie réelle devienne durable.  

b) Nous appelons les caisses de pension à s’engager en faveur d’une stratégie de durabilité d’ici mi-2023, afin de montrer comment elles contribuent à ce que l’économie réelle devienne rapidement durable.