En avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu un arrêt historique, déclarant que les politiques climatiques insuffisantes de la Suisse mettent en danger la santé et la vie des personnes. Elle a ordonné au Conseil fédéral de doter la Suisse d’un budget carbone conforme au respect de l’objectif de 1,5 ºC afin de protéger les droits humains.

Cette décision marque une avancée majeure pour la justice climatique. Pour la première fois, une juridiction internationale reconnaît clairement que protéger les personnes contre les effets du dérèglement climatique est une obligation fondamentale – une question d’équité, de santé publique et de droits humains.

Nous sommes redevables de ce verdict aux Aînées pour le climat Suisse, qui ont démarré une action en justice contre la Suisse dès 2016 avec le soutien de Greenpeace. En tant que femmes âgées, elles sont particulièrement vulnérables aux effets des vagues de chaleur. Pour ces aînées, il ne s’agit non seulement d’un combat qu’elles ont engagé pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs enfants et petits-enfants.

Les Aînées pour le climat ont installé en septembre 2022 des pansements géants sur la terre nouvellement mise à nu entre les glaciers en fonte du Scex Rouge et du Tsanfleuron, pour protester contre l’inaction du gouvernement suisse face à l’urgence climatique et à ses impacts sur la santé. 
© Miriam Künzli / Ex-Press / G

L’importance du Conseil de l’Europe

La Cour européenne des droits de l’homme fait partie du Conseil de l’Europe, qui a pour mission de promouvoir et de protéger les droits et la démocratie dans ses 46 États membres. Une fois que la Cour rend un arrêt, il revient au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, composé des ministres des affaires étrangères des États membres, de veiller à ce que les gouvernements appliquent les décisions de la Cour.

La tâche du Comité des Ministres est donc de s’assurer d’une application cohérente du verdict par la Suisse. Pourtant, lors de leur réunion du 15 au 17 septembre à Strasbourg, les ministres ont félicité la Suisse pour ses progrès dans la mise en œuvre des décisions de la Cour, alors même qu’aucun budget carbone cohérent n’a été défini, ou que d’autres mesures significatives soient entrées en vigueur. La Suisse se contente une nouvelle fois de calculer le volume d’émissions qu’elle prévoit d’émettre d’ici 2050 dans le cadre de sa politique climatique. Celle-ci reste inchangée malgré la décision de la CEDH. La Confédération parle d’un « budget carbone implicite ».

“En cela, le Comité des Ministres a manqué l’occasion importante que représentait l’arrêt des Aînées pour le climat: établir que les Etats, pour respecter les droits humains, peuvent être tenus à respecter leur part équitable d’émission, afin de limiter le changement climatique”, commente notamment Stefan Schlegel, directeur de de l’Institution suisse des droits humains. 

Le budget carbone est une notion cruciale pour la protection du climat. Pour éviter les conséquences les plus dévastatrices du réchauffement climatique, l’élévation globale des températures doit impérativement rester en dessous de 1,5 ºC. Or, il existe une quantité limite d’émissions carbone à respecter pour atteindre cet objectif. C’est cela que les scientifiques appellent le budget carbone. Comme ce budget restant est particulièrement réduit, il est impératif de réduire rapidement le niveau d’émission pour éviter de le dépasser. 

C’est cela que les scientifiques appellent le budget carbone. Comme ce budget restant est particulièrement réduit, il est impératif de réduire rapidement le niveau d’émission pour éviter de le dépasser. Cette notion est au cœur du verdict de la CEDH. La cour estime que la Suisse doit s’assurer que ses émissions futures resteront inférieures à sa part équitable du budget carbone global pour limiter le réchauffement à 1,5°C. 

Jusqu’à présent, la Suisse en a été incapable. Au contraire, les analyses scientifiques montrent clairement que la stratégie actuelle du pays consomme une part disproportionnée du budget carbone mondial, rendant impossible le respect du seuil de 1,5 ºC. La politique climatique suisse est de fait incompatible avec cet objectif de limitation du réchauffement et constitue une violation des droits humains. 

Il est temps d’agir

Si la Suisse parvient à ignorer cet arrêt, d’autres États risquent de suivre son exemple. Cela créerait un précédent dangereux. Les dirigeant·es des pays européens pourraient sacrifier la santé de leurs citoyen·nes au profit des industries fossiles, tout en prétendant respecter leurs engagements climatiques.

“Il faut à tout prix éviter que l’arrêt de la CEDH soit édulcoré par les responsables politiques”, déclare Anne Mahrer, co-présidente des Aînées pour le climat Suisse. “Que faut-il de plus pour que les États comprennent enfin que le réchauffement climatique est un sujet sérieux qui n’a rien à voir avec l’orientation politique? Chaque année qui passe, les catastrophes et les dommages liés au climat continuent de s’aggraver.”

Les Aînées pour le climat poursuivent le gouvernement suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, car leur santé est menacée par les vagues de chaleur aggravées par la crise climatique.
© Greenpeace / Emanuel Büchler

Des sondages montrent que près de neuf personnes sur dix souhaitent que les pays renforcent leurs actions en faveur de la protection du climat. La Cour européenne des droits de l’homme a désormais confirmé que les États doivent renforcer leurs actions climatiques. Le Conseil de l’Europe doit réaliser que les habitant·es des pays européens sont las·ses des promesses creuses et tout faire pour éviter que les gouvernements gaspillent un temps précieux et mettent des vies en danger.

Le Conseil de l’Europe doit entendre les aspirations des populations et tout faire pour éviter que les gouvernements gaspillent un temps précieux et mettent des vies en danger.

Les Aînées pour le climat ont accompli leur part. La Cour a rempli la sienne. Il est maintenant temps que les gouvernements assument la leur. Le Conseil de l’Europe doit s’assurer d’une application cohérente de cet arrêt et établir un précédent fort en matière de justice climatique, en Europe et au-delà.

C’est une condition essentielle au respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux – la mission même du Conseil de l’Europe.

Découvrez l’histoire des Aînées pour le climat au cinéma

Le film TROP CHAUD retrace le long combat de ces femmes courageuses et leur victoire historique devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Il est actuellement à l’affiche dans les salles de cinéma en Suisse romande.Des séances spéciales, avec invités et tables rondes, sont disponibles ici. Pour toutes les projections, rendez-vous sur movies.ch.