Même si, dès demain, les humains cessent de produire du gaz à effet de serre, la plupart des glaciers sont condamnés à disparaître – visualisation d’un phénomène irréversible.

Cet article est publié avec l’autorisation du Tages-Anzeiger et de ses auteurs, Mathias Lutz et Marc Brupbacher.

Les glaciers suisses ont atteint leur extension maximale durant le Petit âge glaciaire, aux alentours de 1850. Leur surface totale était alors de 1735 km² – la taille du canton de Zurich. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 890 km². En l’espace de 166 ans, la moitié de la surface des glaciers de Suisse a fondu.

L’épaisseur de la glace a également diminué de façon spectaculaire. Matthias Huss, de l’EPF de Zurich / Université de Fribourg, estime qu’en 1850, le volume de glace atteignait environ
130 km³ – en 2016, il n’était plus que de 54 km³, soit presque 60% de moins. «On ne peut plus sauver les glaciers suisses», déclare le glaciologue. Malgré les efforts considérables entrepris pour réduire les émissions de CO2, 80 à 90% des masses glaciaires auront disparu d’ici 2100. «Le ralentissement du réchauffement climatique arrivera trop tard», conclut-il. Pour Samuel Nussbaumer, du World Glacier Monitoring Service de l’Université de Zurich, la situation est sans issue: «J’espère seulement que nous pourrons conserver les glaciers les plus élevés des Alpes, ou tout au moins des fragments.»

Régression dramatique des glaciers suisses depuis 1850

Les transformations des cinq plus grands glaciers suisses depuis 1850

En 1973, la Suisse comptait 2150 glaciers; aujourd’hui, il n’y en a plus guère que 1400. En
45 ans, 750 glaciers ont donc disparu. La plupart d’entre eux étaient de petite taille et n’avaient même pas de nom. Il est particulièrement regrettable que tous les glaciers du Parc national suisse aient déjà complètement fondu. En 1973, on en recensait encore une bonne douzaine – seul le Vadret da Nuna avait un nom.

Trois exemples de glaciers ayant déjà fondu en Suisse.

Depuis le début des relevés, la fonte des glaciers n’avait encore jamais été aussi forte que ces dernières années. La plus longue série de mesures de la fonte d’un glacier enregistrée dans le monde – sur 102 ans –, celle du Claridenfirn dans le canton de Glaris, en témoigne: des huit années de fonte les plus extrêmes, six ont eu lieu après 2008. En 2016, les glaciers ont perdu presque 1 km³ de volume, soit environ 900 milliards de litres d’eau. Actuellement (état en 2017), l’épaisseur de la glace diminue en moyenne d’à peu près un mètre par an – soit 1% de sa surface. Globalement, de 2001 à 2010, les glaciers ont fondu en moyenne deux à trois fois plus rapidement qu’au XXe siècle.

C’est en Valais que les glaciers sont les plus grands – ils s’étendent jusque dans les vallées, et nous sont donc plus proches. La fonte des glaces y est manifeste, comme au glacier du Rhône ou à celui d’Aletsch. C’est aussi le cas du glacier de Morterat dans les Grisons, ou de celui de Grindelwald/BE, qui atteignait encore le village il y a 160 ans. Le glacier de Trift/BE s’est réduit de deux kilomètres entre 2000 et 2015. Quant à leur superficie totale, les grands glaciers ont diminué deux à trois fois moins rapidement que les plus petits. Ces derniers ont perdu presque 90% de leur surface depuis 1850, contre «seulement» 15 à 40% pour les plus grands.

Des températures trop élevées en été

En été, les glaciers fondent toujours dans leur partie inférieure. Depuis à peu près 1850, ils ont perdu toutefois de leur masse. A l’époque, le Petit âge glaciaire était encore à son apogée. Le phénomène de fonte accrue s’explique par une hausse très nette des températures. La raréfaction des chutes de neige et le rayonnement solaire accéléreront en outre sa rapidité. Mais elle est surtout due aux températures enregistrées en été. Les glaciers comptent parmi les meilleurs indicateurs naturels du climat et sont un élément clé pour le monitoring des changements climatiques.

Il y a 20 000 ans, la Suisse était pratiquement couverte de glace. Depuis des millions d’années déjà, les glaciers reculent ou avancent, même sans intervention humaine. Ce qui est toutefois anormal, c’est l’incroyable accélération du réchauffement de l’atmosphère, et donc du recul des glaciers, au cours des 150 dernières années. La hausse des températures dépasse de très loin tout ce que l’on sait de l’histoire de la planète. Or, elle est en corrélation avec les émissions de CO2 dans l’atmosphère, qui se sont considérablement accrues à cause de la combustion d’énergies fossiles. Les humains sont responsables du recul massif des glaciers.

D’ici 2100, presque tous les glaciers de Suisse auront disparu. Celui d’Aletsch existera, certes, encore, mais il n’en restera plus que de petits fragments en altitude. Malheureusement, même en envisageant les scénarios les plus favorables en cas de réduction importante des gaz à effet de serre, la plupart des glaciers suisses ne pourront être sauvés: 4 sur 5 disparaîtront, même si dès demain, ces émissions cessaient. Si les températures estivales augmentent de 5 degrés en Suisse, les Alpes auront perdu pratiquement tous leurs glaciers à la fin du XXIe siècle. Les climatologues partent du principe que, si l’on ne réussit pas à enrayer la hausse des gaz à effet de serre, comparées à la période préindustrielle, les températures augmenteront de 3 à 5 degrés en moyenne annuelle. «Naturellement, j’espère qu’on arrivera à réduire ces émissions de telle sorte qu’on puisse conserver au moins 20% des glaciers», fait observer Matthias Huss.

Mesures prises contre la fonte des glaciers

Sur le Titlis ou le glacier du Rhône, on recouvre la glace avec des bâches en textile non tissé afin d’atténuer le rayonnement solaire. En Engadine, on songe à enneiger artificiellement les glaciers. De telles mesures sont, certes, efficaces et judicieuses sur le plan local. Elles permettent de limiter le recul d’une petite surface, mais jamais d’un glacier tout entier. Et les coûts qu’elles engendrent dépassent de loin les avantages.

Les conséquences de la fonte des glaciers sont déjà perceptibles dans maints domaines. Les glaciers sont des attractions touristiques et des facteurs d’identification importants pour la Suisse. S’ils disparaissent, elle devra se présenter sous d’autres atours. Nos Alpes resteront belles, même avec moins de glace, mais différentes.
Les glaciers emmagasinent de l’eau en hiver et la restituent en été. De plus, ils la stockent lors des années froides et humides, et la libèrent lors des étés secs et chauds. Ils jouent ainsi un rôle crucial dans la régularisation des débits d’eau. Sans glacier, cette fonction n’existe plus. Cela aura des répercussions sur la disponibilité en eau dans les régions alpines, mais aussi au-delà, car les grands fleuves d’Europe ont leurs sources dans les Alpes et sont largement alimentés par les glaciers en été.
Avec la Stratégie énergétique 2050, la Suisse compte miser sur l’énergie hydraulique. Presque tous les lacs de retenue sont alimentés par les glaciers. A l’avenir, ils seront également remplis, toutefois l’eau s’écoulera à d’autres moments de l’année. Lorsque les glaciers reculent, le paysage se transforme. Cela peut conduire à des problèmes de stabilité des pentes. De nouveaux lacs se formeront, mais ils peuvent toutefois se rompre, surtout quand la glace s’y accumule.
On s’attend à ce que le niveau de la mer augmente de 0,3 à 1 mètre d’ici 2100. La fonte des glaciers contribue fortement à cette hausse. L’élévation du niveau des mers ne concerne pas directement la Suisse, mais elle générera des millions de réfugiés climatiques.
Des déclarations telles que «Les glaciers norvégiens progressent» ne sont plus à l’ordre du jour. Cette brève phase de croissance s’est terminée il y a quelques années. Ces glaciers dépendent très fortement de l’humidité qui vient de l’océan. Celle-ci avait augmenté à court terme en raison d’un changement de la circulation des masses d’air. Mais cette période est révolue, et, à long terme, les glaciers ont à nouveau tendance à reculer. Ce recul est un problème mondial. Il existe environ 200 000 glaciers sur la planète. Leur surface totale est de 730 000 kilomètres carrés – soit la taille de l’Allemagne, de la Pologne et de la Suisse réunies. Sans oublier les deux calottes glaciaires au Groenland et dans l’Antarctique, qui, ensemble, sont aussi grandes que la Russie. Or, 70% de l’eau douce est stockée dans la glace…

 

Mathias Lutz et Marc Brupbacher font partie de l’équipe interactive du Tages-Anzeiger à Zurich. Cette comparaison entre les glaciers suisses leur a été inspirée par un article du New York Times intitulé «Mapping 50 years of Melting Ice in Glacier National Park».

La version originale de l’article ci-dessus et des graphiques supplémentaires sont disponibles ici, sur le site web du Tages-Anzeiger.