Les gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni prétendent avoir le droit d’envahir l’Irak même sans une seconde résolution des Nations unies. Ils prétendent que l’Irak représente une menace pour la paix et la sécurité mondiale et qu’ils sont habilités à entreprendre une action militaire préventive unilatérale. Au contraire de ce que ces deux pays affirment, les experts juristes du monde entier disent qu’une telle attaque serait illégale sans une nouvelle résolution du Conseil de sécurité autorisant spécifiquement l’usage de la force. De plus, l’usage « préventif » de la force actuellement envisagé contre l’Irak va à l’encontre aussi bien de l’esprit que de la lettre du droit international. Les Nations unies seraient avisées de ne pas autoriser la création d’un si dangereux précédent. Il a déjà été indiqué que la Corée du Nord envisage une attaque préventive contre les forces états-uniennes en Corée du Sud. Cette doctrine revendiquant le droit à la guerre préventive n’est pas seulement illégale, elle est aussi dangereuse car elle menace de déstabiliser voire de détruire la paix et la sécurité mondiale.

Genève (GE).
La toile de fond

Les Nations unies ont été créées après la deuxième guerre mondiale pour garantir la paix et la sécurité dans le monde, l’ancien système de sécurité collective n’ayant pas réussi à empêcher deux guerres mondiales dévastatrices. Le vieux système, fondé sur des alliances changeantes entre Etats, n’avait pas empêché les gouvernements nationalistes des puissances économiques de recourir à la force pour atteindre leurs objectifs économiques et politiques. La Charte des Nations unies engage tous les Etats membres au maintient de la paix et de la sécurité internationale, par le règlement pacifique des conflits, par des mesures collectives de prévention et d’élimination des menaces à la paix, et surtout par la coopération internationale.

Cette tentative d’extension de la coopération internationale a été sapée de façon croissante par le gouvernement des Etats-Unis ces dernières années. Celui-ci s’est retiré du Protocole de Kyoto sur les changements climatiques, a refusé de ratifier le Traité d’interdiction totale des essais nucléaires malgré les promesses faites dans le cadre du TNP (Traité de non prolifération), s’est retiré du traité ABM (Traité sur les missiles anti-balistiques), a refusé de faire approuver le traité sur la Cour pénale internationale au Sénat des Etats-Unis et a refusé de signer le Protocole sur les armes biologiques. Lors des négociations internationales du Sommet mondial du développement durable de 2002, les délégations états-uniennes se sont acharnées à affaiblir le texte du traité pour finalement refuser de le ratifier purement et simplement. Toutes ces actions unilatérales des Etats-Unis sapent le pouvoir et l’autorité des Nations unies, découragent la coopération internationale et piétinent les règles de droit international.

Une attaque unilatérale serait illégale

Les Etats-Unis ont récemment revendiqué le droit d’entreprendre des actions militaires préventives, y compris contre l’Irak, déclarant que si l’on attend que les menaces se matérialisent complètement, on aura attendu trop longtemps et que l’Irak représente une menace évidente pour la paix internationale. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni prétendent que pour un certain nombre de raisons l’Irak viole déjà de façon substantielle la Résolution 1441. Cela ne leur donne pourtant pas le droit de lancer une offensive : seules les Nations unies peuvent dire s’il y a violation substantielle et seules les Nations unies peuvent décider quoi faire en cas de violation. Une nouvelle résolution du Conseil de sécurité est nécessaire pour autoriser l’usage de la force.

La revendication des Etats-Unis ignore l’un des grands principes des Nations unies. L’Article 51 de la Charte des Nations unies donne aux Etats le droit souverain d’entamer une opération militaire de légitime défense uniquement si il a subi une agression armée : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » Il y a légitime défense uniquement si une attaque a déjà eu lieu, ou est manifestement imminente. Dans le cas souvent cité du SS Caroline, il est précisé qu’il doit y avoir « nécessité de légitime défense, sur le champ, absolue, ne laissant aucun autre choix quant aux moyens et aucun temps pour la délibération. » En l’absence de telles circonstances, la voie légale et correcte est de demander au Conseil de sécurité de s’occuper de l’affaire. Quand en 1981 Israël a attaqué le réacteur nucléaire irakien Osirak, en invoquant la légitime défense pour justifier sa frappe préventive. Cette attaque, en tant que « violation évidente » de la Charte, a été fortement condamnée par le Conseil de sécurité dans sa Résolution 487 (1981), y compris par les Etats-Unis. Il est intéressant de noter que depuis le secrétaire d’Etat Colin Powell a salué cette attaque comme une « frappe militaire clairement préventive. Tout le monde s’en félicite, même si sur le moment elle fut sévèrement critiquée. » Cette attaque était illégale, une attaque similaire aujourd’hui le serait tout autant.

L’Irak n’a jusqu’à présent menacé d’attaquer aucun pays, n’a pas mobilisé ses troupes dans ce but et n’a pas la puissance militaire nécessaire pour attaquer les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, qui ont envoyé des troupes dans la région. Par conséquent, les déclarations de ces Etats selon lesquelles une attaque préventive en Irak peut être justifiée par l’Article 51 n’a aucun fondement juridique. Même Henry Kissinger soutient que « la notion d’intervention préventive justifiée va à l’encontre du droit international moderne, qui autorise l’usage de la force en légitime défense uniquement contre des menaces réelles – et non potentielles. »

Une intervention militaire préventive, même autorisée par le Conseil de sécurité, contredirait le droit international

L’usage préventif de la force n’a aucun fondement dans le droit international si aucune attaque par l’Etat en cause n’a eu lieu ou ne semble imminente, s’il celui-ci ne fait pas un large usage de la violence ou s’il n’y a pas d’urgence humanitaire. Si aujourd’hui, pour la première fois dans son histoire, le Conseil de sécurité autorisait une guerre préventive contre l’Irak, alors qu’il ne représente aucune menace immédiate pour la paix, cela saperait gravement les dispositions internationales restreignant l’usage de la force. Cela saperait très certainement les objectifs de la Charte des Nations unies de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Autoriser une guerre préventive au prétexte qu’un Etat pourrait avoir caché des armes de destruction massives créerait un précédent ouvrant la voie à d’autres guerres préventives, une vingtaine d’autres Etats pouvant constituer des cibles pour de telles opérations. L’usage de la force se ferait aux dépends de vies civiles et militaires, à un moment où les menaces pour la paix internationale et la sécurité internationale pullulent déjà.

Il existe suffisamment de mécanismes internationaux pour s’occuper des faits reprochés à l’Irak et aux autorités irakiennes. Cela comprend, en plus du programme d’inspection en armement existant, la mise en place par le Conseil de sécurité d’un tribunal pénal international « ad hoc », le recours à la Cour pénale internationale pour tout crime commis après juillet 2002, et à la Cour international de justice. Les mécanismes pour assurer le respect du droit international comprennent les pressions diplomatiques, les négociations, les sanctions sur certains biens ayant des applications militaires ou pouvant servir à la fabrication d’armes de destruction massive, la destruction des stocks d’armes de destruction massive et l’inspection des installations susceptibles de contribuer à la production d’armes de destruction massive.

La communauté internationale doit régler la question des armes de destruction massive par le biais de la coopération internationale, avec cohérence et sans discrimination. Même les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ainsi que la Chine, la France, l’Inde, le Pakistan et la Russie, en tant que puissances nucléaires, sont tenus de « poursuivre en toute bonne foi et mener à terme les négociations menant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects sous contrôle international strict et efficace. »

Les projets guerriers des Etats-Unis et la Convention de Genève

CBS News a rapporté le 24 janvier que le Pentagone a l’intention de commencer la guerre par une grande offensive contre Bagdad, comprenant des frappes contre les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité. Un tel projet violerait l’Article 54 du Protocole I de la Convention de Genève :

« 2. Il est interdit d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que des denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation, en vue d’en priver, à raison de leur valeur de subsistance, la population civile ou la Partie adverse, quel que soit le motif dont on s’inspire, que ce soit pour affamer des personnes civiles, provoquer leur déplacement ou pour toute autre raison. »

Lors de la guerre du Golfe, les infrastructures irakiennes de distribution d’eau et d’électricité ont été détruites. La plupart du temps cela a été présenté comme des « dommages collatéraux accidentels » même si il semblerait que certaines attaques aient été délibérées. En janvier 2003, une centaine d’ONG et de professeurs de droit états-uniens ont envoyé une lettre à George Bush l’avertissant que les tactiques de combat récemment employées par les Etats-Unis au Kosovo et en Afghanistan laissait craindre des violations du droit humanitaire international en cas d’attaque contre l’Irak.

L’utilisation et la menace d’utilisation d’armes nucléaires sont interdites

En janvier, une fuite a fait parvenir à la presse un document confidentiel connu sous le nom de Directive présidentielle de sécurité nationale 17, signé par le président Bush en septembre dernier. Selon l’article, le document indique : « Les Etats-Unis vont continuer a montrer clairement qu’ils se réservent le droit de répondre implacablement par la force – y compris la possible utilisation d’armes nucléaires – à l’utilisation [d’armes de destruction massive] contre les Etats-Unis, nos troupes à l’étranger, et nos amis et alliés. » En 1996, la Court internationale de justice a jugé que l’utilisation ou la menace d’utilisation d’armes nucléaires est d’une façon générale contraire aux règles du droit international applicables dans le cadre d’un conflit armé, et en particulier aux principes et aux règles du droit humanitaire. Elle n’a toutefois pas tranché définitivement quant à la légalité ou l’illégalité de l’utilisation ou de la menace d’utilisation d’armes nucléaires dans des circonstances extrêmes de légitime défense mettrant en jeu la survie même d’un Etat. L’utilisation d’armes nucléaires en Irak en réaction à l’usage par les Irakiens d’armes chimiques ou biologiques, ou contre un bunker de commandement serait clairement illégale selon le droit international.