Jennifer Morgan, codirectrice exécutive de Greenpeace International, explique pourquoi elle se rend au Forum économique mondial de Davos.

« Un autre monde est non seulement possible, il est en marche. Les jours calmes, je peux entendre son souffle » – Arundhati Roy
Je l’entends aussi. J’ai passé ma vie à travailler pour aider les autres à l’entendre. Je me demande si je l’entendrai encore dans l’air froid de Davos où je participerai au Forum économique mondial (World Economic Forum, WEF).

Cette année, sept femmes présideront le WEF, mais je me demande si la Justice se lèvera au-dessus des arrangements d’arrière-salles et de la rhétorique sur la création d’un avenir meilleur. Je me demande si nous serons capables de trouver l’empathie et la connectivité de ne pas discuter que des défis les plus urgents du monde d’aujourd’hui, mais aussi de saisir l’opportunité qu’ils constituent pour construire ensemble un avenir plus équitable et plus soutenable. Nous ne pouvons pas continuer à bricoler avec le système existant pour préserver le statu quo. A Davos, je m’efforcerai naturellement d’accorder une attention particulière à l’égalité des genres et à la justice en tant qu’éléments essentiels des changements que nous voulons. J’appellerai tous mes interlocuteurs à regarder en eux et à se demander comment ils se sentent par rapport à ce qu’il se passe dans le monde. Je vais leur demander ce qu’ils peuvent faire et les implorer de le faire.

Chaque année, avant la rencontre de Davos, le WEF publie un Global Risks Report. Ces dernières années, Greenpeace et les autres acteurs des mouvements pour la protection de l’environnement et la justice sociale ont fait les mêmes constats en matière de risques, d’urgence et de solutions. Les systèmes dont les entreprises et les politiciens tirent leur pouvoir et leurs bénéfices s’effondrent en créant le monde fractionné dans lequel nous vivons. Pour la 2e année de suite, les politiciens et les hommes d’affaires considèrent que les événements météorologiques extrêmes (et soyez certains qu’ils sont plus extrêmes du fait des changements climatiques) sont la pire menace pour la planète. Leur impact potentiel avoisine celui des armes de destruction massive. Nous sommes clairement entrés dans l’ère des événements météorologiques de destruction massive.

Y a-t-il un meilleur endroit pour en parler que Davos où se trouvent beaucoup des personnes qui auraient la capacité de dérouter notre bateau pour éviter qu’il ne touche l’iceberg. Nous devons naturellement en appeler à ceux qui ont le pouvoir en tant qu’humain-e-s, citoyen-ne-s, parents et grands-parents. Nous devons en appeler à leur humanité. Ils ont aussi un pouvoir et des responsabilités particulières.

Nous faisons aussi la promotion du nouveau rapport de Greenpeace « Justice pour les peuples et pour la planète ». Il appelle les gouvernements à imposer des règles efficaces et contraignantes sur le comportement des entreprises pour les rendre responsables à l’égard des peuples et de la planète. Il montre qu’au lieu d’imposer de telles règles, les gouvernements ont volontairement ou involontairement mis en place l’impunité des entreprises. Le rapport analyse 20 cas particuliers qui illustrent comment les entreprises ont utilisé les lois, les traités sur la fiscalité et les investissements, les réglementations et certaines entraves à la justice pour faire des bénéfices aux dépens des droits de la personne humaine et de l’environnement.

Le rapport documente aussi la façon dont les différences législations ont permis d’infliger des amendes de plusieurs milliards de dollars à VW pour le dieselgate aux USA et de ne pas punir le groupe automobile en Europe ; la façon dont Resolute Forest Products et Energy Transfer Partners ont utilisé des actions en justice (Strategic Lawsuit Against Public Participation, SLAPP) pour faire taire les critiques ; comment Glencore pollue l’environnement et le climat et utilise des cours d’arbitrage privées pour faire pression sur les gouvernements ; et comment le groupe espagnol ACS est devenu complice d’une catastrophe environnementale et sociale en participant à la construction du projet hydroélectrique Renace au Guatemala.

Nous y répondons par le bon sens de Dix principes de responsabilité des entreprises. Au cœur de ceux-ci on retrouve l’exigence de tenir responsable « les sociétés et les personnes qui dirigent des entreprises (..) des atteintes à l’environnement et aux droits humains commises par celles-ci dans leur pays d’origine ou à l’étranger ». Il s’agit aussi de promouvoir l’excellence en interdisant aux entreprises de faire à l’étranger ce qu’elles n’ont pas le droit de faire dans leur pays d’origine à cause du risque pour la population ou l’environnement.
Chaque fois que les entretiens me le permettront, je ferai état des dernières percées en matière de connaissance du climat en me concentrant sur les liens entre les événements météorologiques extrêmes, le réchauffement climatiques et la responsabilité des entreprises. C’est un domaine scientifique qui évolue rapidement. Les dirigeants des principales entreprises devraient en être conscients, car les impacts en sont toujours plus fréquents et plus intenses. La Ville de New York s’est basée sur les dernières connaissances scientifiques pour désinvestir des énergies fossiles et attaquer certaines des entreprises les plus polluantes de la planète.

En tant que codirectrice exécutive de Greenpeace International, on m’a demandé si j’allais réellement aller à Davos. C’est oui. Comme mes prédécesseurs, je m’y rends parce que c’est une occasion exceptionnelle de parler directement aux puissants. Il n’y a malheureusement aucune garantie qu’ils m’écoutent. Je vais avoir de nombreux entretiens avec des chefs d’entreprises importants en l’absence des équipes qui les conseillent. C’est un contact plus humain et l’opportunité de parler directement aux personnes des faits et des opportunités économiques, et aussi de les aider à trouver la compassion nécessaire pour relever ces défis.

Greenpeace est souvent la première sur les lieux d’une fuite de pétrole ou d’une catastrophe nucléaire. Pourquoi ne pas être la première à s’adresser directement aux instances dirigeantes pour leur faire choisir l’avenir qu’elles veulent pour leurs enfants et petits-enfants.

Jennifer Morgan, codirectrice exécutive de Greenpeace International