La collecte et le recyclage de déchets plastiques favorise la production de plastique et pérennise des habitudes de consommation problématiques.

De nombreuses personnes font l’effort de ramener leurs bouteilles en PET ou leurs bouteilles de lait vides au magasin pour les déposer dans les conteneurs de collecte. Le recyclage du plastique répond à un besoin et donne actuellement lieu à de nombreux débats. Les systèmes prévoyant des sacs dédiés aux déchets plastiques se multiplient, les municipalités réalisent des projets pilotes, et dernièrement, le conseil national a approuvé – dans le cadre de la révision de la Loi sur la protection de l’environnement – la libéralisation de la collecte de plastiques. Un bon point pour l’environnement ? Pas vraiment… Greenpeace Suisse est sceptique quant à l’expansion du recyclage des matières plastiques, car celui-ci ne présente que de faibles avantages environnementaux. En renforçant le recyclage, on risque aussi de pérenniser des habitudes de consommation et des modes de pensée écologiquement problématiques. La discussion reflète une idée profondément ancrée en Suisse : n’importe quel type de recyclage contribuerait de manière significative à préserver les ressources. Pour Greenpeace, le recyclage de déchets ménagers en plastique est une solution inadéquate (voir le rapport sur les fausses solutions de 2019 ou le rapport Circular Claims Fall Flat Again de 2022). Sans réelle transition vers un système d’emballages réutilisables, les mesures visant à perfectionner la collecte de déchets sont simplement une opération de greenwashing. Il faut au contraire repenser le système en profondeur.

Un bénéfice environnemental minime

La pratique actuelle en matière de déchets plastiques est clairement insuffisante. Par rapport au statu quo, la collecte sélective du plastique présente un certain bénéfice écologique, mais celui-ci est très faible. En rapportant 70% de ses déchets plastiques à un point de collecte pendant un an, on réalise un bénéfice écologique équivalent au fait de renoncer à manger une entrecôte de bœuf, selon l’étude indépendante qui fait référence : « Le bénéfice est le même, qu’on renonce à un vol pour aller en vacances en Sardaigne ou en Majorque, ou qu’on collecte ses déchets plastiques pendant 30 ans.» (Étude KurVE 2017)

« Si une personne en Suisse dépose 70% de ses déchets plastiques aux points de collecte pendant un an, le bénéfice écologique équivaut seulement à se passer d’une entrecôte de bœuf. »

Le plastique n’est pas un matériau d’avenir

Le plastique et sa production constituent une menace significative pour notre climat, car 99% des plastiques sont fabriqués à partir de combustibles fossiles. L’industrie du pétrole investit actuellement des milliards afin d’étendre massivement sa production. Dans un contexte de demande décroissante en pétrole, l’industrie des énergies fossiles mise tout sur le plastique pour maintenir la production pétrochimique. Les émissions de gaz à effet-de-serre des plastiques à usage unique, issus en grande majorité de leur production, étaient équivalentes en 2021 aux émissions totales du Royaume-Uni.

Actuellement en Suisse, environ 90% des matières plastiques passent dans des usines d’incinération via la collecte des déchets ménagers. Un système de collecte séparée ne changerait rien au fait que seule une petite partie du plastique se prête au recyclage (PET propre non mélangé ; PE et PP en partie). Cela explique qu’au niveau mondial, seuls 9% des plastiques produits depuis 1950 ont été recyclés. Le plastique mélangé, les emballages multicouches composés de différents plastiques ou encore les emballages en aluminium/carton revêtus de plastique devraient être extraits du plastique collecté, car sans une modification en profondeur des plastiques utilisés, plus de 50% des déchets plastiques continueraient donc à être incinérés dans des usines ou des cimenteries. Un tel procédé pourrait être qualifié de publicité mensongère pour le compte de l’industrie des déchets. Les produits fabriqués à partir de matériau recyclé (nommé « recyclat ») créent d’ailleurs souvent de nouveaux problèmes : ils ont tendance à se fragiliser et contribuent ainsi à la pollution microplastique. Par ailleurs, pour les quelques types de plastique qui sont recyclés, l’inquiétude augmente concernant l’impact sur la santé des produits chimiques toxiques présents dans les flux de recyclage.

« Même avec une collecte de plastique, plus de 50% des déchets plastiques continueraient à être incinérés dans des usines ou des cimenteries »

Éviter un nouveau verrouillage technologique

La mise sur pied d’un système de collecte du plastique sur l’ensemble du territoire implique la création d’infrastructures et de processus spécifiques. Ceci donne lieu à des dépendances et entrave l’introduction de mesures plus efficaces pour réduire l’utilisation des matières plastiques. Une fois construite et financée, une telle infrastructure tend à rester en exploitation. Le recul du volume de déchets plastiques deviendrait alors un problème. Une absurdité que nous connaissons déjà, par exemple quand les usines d’incinération ne peuvent pas tourner à plein régime et se concurrencent pour obtenir des déchets.

Consommation croissante de plastique

Il est vrai que la collecte des matières plastiques est très appréciée par une population qui en a marre de voir le plastique envahir son quotidien. Si on lui fait croire que ce genre de collecte est une contribution significative à la protection de l’environnement, l’urgence d’un changement en profondeur risque de passer au second plan. C’est ce qui se passe déjà avec le verre à usage unique (le verre réutilisable présente en effet le meilleur bilan écologique, alors que le verre jetable se classe au dernier rang). Selon les médias, le commerce de détail est depuis plusieurs années à l’origine des projets de recyclage des matières plastiques. Dans le cadre de la révision de la Loi sur la protection de l’environnement, les détaillants insistent fortement pour l’ouverture du monopole de la collecte de déchets. Cela n’est guère surprenant, car les détaillants cherchent des réponses au flot de plastique qui dérange de plus en plus leur clientèle. Ils font valoir que les emballages sont recyclables et ne posent donc pas problème, mais il s’agit là d’une fausse solution. Sans effort d’innovation pour créer des systèmes réutilisables, il faut s’attendre à une consommation croissante de plastique dans la distribution des aliments et des biens de consommation. Alors qu’une telle surconsommation de ressources est incompatible avec les limites planétaires.

La responsabilité de l’industrie de consommation

La consommation actuelle de plastique ne répond pas à une gestion durable des ressources. Au lieu de miser sur de fausses solutions, il faut enfin adopter des approches qui réduisent véritablement l’utilisation des ressources. La priorité doit aller aux stratégies d’évitement et de réutilisation qui permettent réellement de fermer les cycles de produits (économie circulaire au sens propre). C’est dans ce domaine que les entreprises devraient innover, au lieu de lancer un nouveau système de recyclage qui ne contribuera guère à préserver les ressources.

Les projets de l’industrie du recyclage prévoient une économie de 24 kg de CO2 par personne et par année en cas de collecte de plastique sur l’ensemble du territoire. Selon les calculs de Greenpeace, il suffirait de supprimer environ un cinquième des emballages du commerce de détail (par ex. légumes, fruits) ou de remplacer ces emballages par des systèmes réutilisables et rechargeables (par ex. produits de nettoyage, shampooing, céréales, fruits secs, pâtes, aliments pour animaux, plats à emporter, produits laitiers, etc.) pour obtenir la même baisse d’émissions de carbone. Les projets pilotes confirment d’ailleurs la popularité de systèmes réutilisables auprès de la clientèle. Il s’agit maintenant de les promouvoir, en coopération avec les fabricants et le commerce de détail :

  • la mise à disposition d’une infrastructure réutilisable et la normalisation intersectorielle des systèmes réutilisables. Cela comprend également une logistique complète et fonctionnelle, comprenant le transport, l’emballage utilisé pour le transport, les systèmes de distribution et de nettoyage, etc. Ceux-ci doivent être fournis ou du moins financés en premier lieu par les producteurs, conformément au principe de la responsabilité élargie du producteur (REP).
  • Le développement et l’utilisation de contenants réutilisables standardisés et l’ajustement correspondant à la logistique de vente. Les contenants doivent être réutilisables sur le long terme et fabriqués dans un matériau de qualité et durable, de sorte qu’ils puissent être recyclés et réutilisés à la fin de leur cycle de vie (éco-conception pour un véritable recyclage, par exemple recyclage de bouteille à bouteille, sans downcycling).
  • Des options de retour et de recharge faciles à chaque point de vente ou à domicile afin de rendre le système pratique pour les client·e·s (quatre modèles de base : 1. recharge à domicile (refill at home), 2. recharge en chemin (refill on the go), 3. retour à domicile (return from home), 4. retour en chemin (return on the go[1]).

Il faut donc repenser le système de distribution des biens ainsi que les modes de consommation (régionalisation de l’offre, réduction de la gamme de produits, abandon des produits suremballés). Car le potentiel écologique des solutions innovantes en matière d’emballages réutilisables pour les biens de consommation est nettement supérieur à celui des systèmes de recyclage.

 » Il faut mettre en place une infrastructure avec des systèmes réutilisables et standardisés. »

Taxer les emballages plastiques, mais pour financer un changement de système

Les projets actuellement discutés prévoient une taxe d’élimination anticipée sur les emballages plastiques, qui aurait pour but de financer le système de collecte, de tri et de traitement, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les bouteilles en PET. Si Greenpeace soutient l’idée d’une taxe sur les emballages plastiques, celle-ci doit toutefois avoir un effet incitatif visant à éviter les emballages. Et les recettes doivent servir à développer des systèmes de distribution innovants, évitant les emballages autant que possible.


[1] https://www.ellenmacarthurfoundation.org/assets/downloads/Reuse.pdf