Sept hommes de la tribu des Tenharim sont en route dans leur région de l’ouest de l’Amazonie brésilienne. Ils se déplacent torse nu, avec leurs parures de plumes et leurs pantalons en jeans. À l’aide d’un téléphone portable, ils veulent rendre compte des dégâts causés par les feux de forêt et de brousse sur leurs terres. Depuis le mois d’août, les incendies se sont calmés dans certaines régions, mais ont repris dans d’autres.

L’été dernier, les incendies dans la forêt amazonienne attirent l’attention du public mondial, les journalistes affluent. Mais l’intérêt des médias retombe vite. Pourtant les feux continuent, même s’ils ont perdu en intensité grâce aux fortes précipitations et aux mesures ponctuelles ordonnées par le gouvernement brésilien, après de longues hésitations.

Photo : Victor Moriyama / Greenpeace

Les vidéos prises par les Tenharim datent de fin septembre. On y voit des feux crépitants, des souches d’arbres carbonisées et des cendres portant les empreintes d’animaux en fuite. Ou encore un tatou calciné, qui s’était réfugié sous la racine d’un arbre. Le groupe s’arrête devant un palmier-bâche, dont le fruit est très courant dans le bassin amazonien. S’il vient à manquer, les tapirs, les tatous, les cochons sauvages et les perroquets ne peuvent plus se nourrir, explique l’un des hommes: «Il ne reste plus rien ici, tout est mort».

Le peuple des Tenharim compte encore environ un millier de membres, qui vivent sur un périmètre un peu plus petit que le canton du Valais. Pour eux, il est évident que de nombreux incendies ont été allumés par des criminels qui veulent s’approprier leurs terres. Comme les autres peuples autochtones menacés, les Tenharim ne reçoivent aucune aide extérieure. C’est pourquoi ils ont mis sur pied leur propre brigade pour combattre les incendies. Une tâche difficile, étant donné la superficie de leur réserve.

Incendies criminels via WhatsApp

Les autochtones sont les principales victimes de la politique anti-écologique du président Jair Bolsonaro. Ce dernier a annoncé vouloir ouvrir les réserves et l’ensemble de la région amazonienne à l’exploitation économique. Sa rhétorique encourage l’industrie forestière, la prospection aurifère, l’agriculture industrielle et l’élevage du bétail à accaparer les terres en toute illégalité, souvent de manière extrêmement brutale. Début octobre, des bûcherons ont détruit un poste de l’autorité de protection des autochtones (nommée Funai) dans la réserve de Karipuna, située dans l’État de Rondônia, la zone indigène du Brésil la plus menacée par les incendies de forêt. Épargnée par la déforestation jusqu’en 2014, cette région a entre-temps vu disparaître 20 km2 de forêt.

Ces récits témoignent des ravages que subit la région amazonienne du Brésil depuis quelques mois. L’année 2019 entrera dans l’histoire comme l’une de plus dévastatrices pour la forêt amazonienne. Au cours des neuf premiers mois, le nombre d’incendies dans la forêt pluviale a progressé de 41% par rapport à 2018, les feux étant la conséquence directe du déboisement.

Les incendies sont souvent le fait de structures mafieuses liées à des spéculateurs, des faussaires de documents et des agents prête-noms. À Novo Progresso, dans l’État de Pará, quelque soixante-dix grands propriétaires fonciers ont ainsi organisé une «Journée du feu», utilisant WhatsApp pour coordonner leurs projets d’incendies criminels. Le ministère public a mené une enquête, mais aucune arrestation n’a eu lieu à ce jour. Par contre, le journaliste local qui a rendu l’affaire publique se voit menacé. Adécio Piran envisage d’abandonner ses enquêtes sur les atteintes environnementales. «J’ai peur d’être assassiné», confie-t-il.

Si le nombre total d’incendies a diminué en septembre, les feux ont augmenté dans les écosystèmes de la savane du Cerrado et des marais du Pantanal, au sud de la forêt amazonienne. Il en va de même dans l’État d’Amazonie, qui abrite la plus grande zone de forêt tropicale du Brésil. Les dernières données de l’Institut de recherche spatiale sont alarmantes: en septembre, la déforestation au Brésil a augmenté de près de 100% par rapport à 2018. C’est dans ces zones déboisées que risquent de se produire les prochains incendies. Si la forêt amazonienne n’est plus à l’ordre du jour des médias, sa destruction se poursuit à plein régime…

Photo: Victor Moriyama / Greenpeace

Cinq questions à …

Établi au Brésil depuis quatre ans, Oliver Salge est coordinateur de la campagne internationale de Greenpeace en Amazonie.

Entretien: Danielle Müller

Oliver Salge, quel impact a eu l’écho médiatique provoqué dans le monde entier par les feux de forêt en Amazonie brésilienne?

La réponse médiatique mondiale est à la hauteur de l’importance de la forêt amazonienne pour la régulation du climat mondial. Surtout au moment où certains dirigeants politiques se permettent de nier la réalité du changement climatique d’origine anthropique et ne font pas grand-chose pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le tourbillon médiatique a-t-il changé des choses au Brésil?

Le gouvernement du président Bolsonaro n’a pas changé sa politique hostile à la forêt amazonienne et à ses habitants autochtones, mais il a clairement pris note de la dégradation de l’image du Brésil à l’échelle mondiale. Plusieurs entreprises ont menacé de mettre fin à leurs contrats avec le Brésil en raison des incendies et du déboisement.

Quel avenir pour la forêt amazonienne sous Bolsonaro?

L’objectif déclaré du gouvernement est de sacrifier les forêts à la production de minéraux, d’énergie ou de produits agricoles.

Que fait Greenpeace Brésil pour protéger la forêt tropicale d’Amazonie?

Ces derniers mois, Greenpeace Brésil a travaillé en particulier sur les effets négatifs de la politique anti-environnementale du gouvernement actuel. Nous coopérons avec des peuples autochtones et des communautés traditionnelles et soutenons leur travail de surveillance des forêts, afin de dénoncer les crimes environnementaux.

Que pouvons-nous faire en Europe pour protéger la forêt tropicale?

Au niveau individuel, nous pouvons manger moins de viande. Les fourrages pour les poules et les porcs proviennent souvent de régions appartenant à la forêt pluviale. À l’échelle des gouvernements européens, il faut enfin des lois qui interdisent l’importation de produits issus de la destruction des forêts tropicales.