Le 29 juin 2020 à minuit, l’arrêt du réacteur numéro 2 de Fessenheim a acté la fermeture définitive de cette vieille centrale nucléaire controversée. Après 43 ans d’activité, la doyenne du parc nucléaire français prend une retraite plus que méritée. Conçue pour durer 30 ans avec une marge maximum à 40 ans, Fessenheim est truffée d’anomalies et cumule les problèmes de sûreté et de sécurité, justifiant pleinement l’arrêt de son activité. Maintes fois repoussée, sa fermeture marque un moment historique : c’est la première d’une longue série. La France compte 56 autres réacteurs vieillissants qui devront eux aussi rapidement fermer. Retour sur un long combat qui a démarré dès les années 70, et qui est loin d’être terminé.

Une fausse bonne solution

Imaginé sous De Gaulle, lancé sous Pompidou et mis en service en 1977 sous Giscard, le programme nucléaire est à l’énergie ce que le minitel est à l’internet. À l’époque, l’État français découvre l’énergie atomique, la voit comme une alternative miraculeuse au pétrole et s’y jette à corps perdu sans en mesurer les conséquences. La France devient le pays le plus nucléarisé au monde par rapport au nombre d’habitants, avec 19 centrales et 58 réacteurs qui produisent plus de 70% de notre électricité. Un choix dogmatique, imposé à la population, piloté au plus haut de niveau de l’État et qui ne laisse aucune place à d’autres solutions.

Ces quatre décennies qui nous séparent de la mise en service de Fessenheim ont été jalonnées par des accidents nucléaires sur le sol français (Saint-Laurent-des-Eaux) et par des catastrophes dans d’autres pays (Tchernobyl, Fukushima), qui ne laissent aucun doute sur la dangerosité de l’énergie atomique.

Ajouter à cela, l’impossible gestion des déchets radioactifs, les milliers d’anomalies découvertes ces dernières années sur le parc nucléaire, les fréquents incidents de sûreté, la grande vulnérabilité aux attaques extérieures ainsi qu’aux risques naturels et les coûts mirobolants engagés, il est difficile de justifier le recours à une énergie si dangereuse, chère et peu résiliente.

Contestée dès le départ


Dès 1970 et l’officialisation de la construction de la centrale à Fessenheim, des mouvements citoyens et riverains se sont mobilisés pour dénoncer le danger de l’utilisation de la technique nucléaire et pour sauvegarder la vallée de la Moselle, lieu où serait construit le site nucléaire. Ces premiers contestataires de l’atome allaient être rejoints par 400 scientifiques et physiciens nucléaires de Strasbourg, de Paris et même du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) pour lancer un appel pour refuser l’énergie nucléaire trop dangereuse. Malgré ces contestations, l’État décide de maintenir le projet et la centrale nucléaire est sortie de terre en 1977.

Pendant les 43 années de fonctionnement de Fessenheim, de nombreuses anomalies et failles de sûreté et de sécurité, mises en évidence par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les associations anti-nucléaires, ont confirmé les inquiétudes du recours à l’énergie atomique : située en zone sismique et susceptible d’être inondée, avec des micro-fissures sur la cuve du 1er réacteur, des joints et composants obsolètes, un générateur de vapeur non conforme, des arrêts prolongés, plus de 15 incidents sur chaque réacteur jugés « précurseurs » par l’ASN car ils augmentent le risque d’accident, une vulnérabilité aux actes de malveillance et aux chutes d’avion.

L’heure de la retraite largement dépassée…

Fessenheim, comme les autres centrales nucléaires françaises, a été conçue pour fonctionner entre 30 et 40 ans. Au-delà, les réacteurs entrent dans une phase de vieillissement qui n’a pas été prévue par les ingénieurs et que la filière nucléaire ne maîtrise pas. De nombreux éléments (cuve, tuyauteries et câblages, mais aussi enceinte de béton…) deviennent plus fragiles, et une partie d’entre eux ne sont pas remplaçables. Pourtant, en France comme en Suisse, les exploitants de centrales nucléaires font tout pour exploiter les réacteurs beaucoup plus longtemps.

Même « rénovée » à grands frais, la centrale de Fessenheim n’aurait pas pu atteindre les exigences de sûreté imposées aux réacteurs plus récents. Sa fermeture était absolument nécessaire pour limiter les risques accidentels pour la France mais aussi pour l’Allemagne et la Suisse, situées à quelques dizaines de kilomètres à peine.

La fermeture des autres centrales doit être mieux anticipée


D’ici fin 2020, une douzaine d’autres réacteurs nucléaires auront dépassé 40 ans de fonctionnement, mais EDF tente d’imposer leur prolongation d’au moins dix ans, en y réalisant des travaux pour des coûts exorbitants et pourtant insuffisants à garantir un niveau de sécurité satisfaisant.

Maintes fois repoussée et controversée, la fermeture de Fessenheim n’a pas été correctement anticipée et préparée. La reconversion du territoire n’est que timidement amorcée, le sort des sous-traitants reste incertain. La fermeture a été subie par les acteurs du territoire. Il est impératif de tirer les leçons de la gestion de l’arrêt de Fessenheim en prévision de la fermeture à venir des autres réacteurs nucléaires vieillissants.


Au-delà de 40 ans, l’exploitation des réacteurs est incertaine et qu’on le veuille ou non, il faut anticiper leur fermeture. En Suisse, tous les réacteurs nucléaires auront dépassé les 40 ans d’activités en 2024. Le réacteur de Beznau a dépassé les 50 ans d’exploitation en 2019. Il a pourtant été arrêté pendant 3 ans après la découverte d’un bon millier de défauts dans le matériau de la cuve de pression en 2015. De façon à garantir la sécurité de la population, le mieux serait de sortir rapidement du nucléaire et de réaliser une transition vers un approvisionnement énergétique basé uniquement sur les renouvelables.